Chapitre 8

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J'étais rouge comme une écrevisse, et ça pour plusieurs raisons. Déjà, cette proposition inattendue de Pénélope – que je ne pouvais pas refuser, passer plus de temps avec elle, c'était tout ce que je voulais – et, aussi, sa main, qu'elle avait posée nonchalamment sur mes genoux. Mes genoux qui étaient nus, de surcroît ; et sa main était si douce et si tendrement chaude contre ma peau que j'aurais voulu qu'elle la laisse plus longtemps encore... ce qu'elle ne fit pas.

Après avoir posé la question, et m'avoir regardée un instant, elle retira sa main, se pencha en avant – vers moi – et posa son menton dans ses paumes. Elle me regardait, le visage quelque peu en biais, et ses lèvres s'arcèrent peu à peu en un sourire ; elle attendait ; et moi, je rougissais encore plus.

– Ça te dis ? demanda-t-elle de nouveau.

J'acquiesçai vivement de la tête, soit à cause de mon stress ou de ma joie, peut-être des deux. C'était bizarre. Et sûrement que mon enthousiasme dû au fait de manger avec elle débordait de moi, parce qu'une fois ma réponse donnée, Pénélope souriait à pleines dents, probablement amusée par ma réaction exagérée pour un simple repas.

On laissa alors le bar, après nous être assurée de l'avoir bien fermé, et nous dirigeâmes vers nos campements. Pénélope devait récupérer son porte-monnaie, ou de l'argent du moins, et je devais faire de même ; même si elle tenait absolument à payer pour moi, parce que soit disant « ce n'est pas avec ce que Frédo te donne que tu pourras bien manger ! ». Non, je ne me sentais pas encore assez proche pour accepter ce genre d'arrangement, mais est-ce que la politesse ne dirait pas le contraire, que c'est mal de refuser une invitation ?

Après avoir extrait mon porte-monnaie des décombres de ma tente, je me dirigeais d'un pas pressé vers le camping-car de Pénélope. C'était agréable de ressentir ce sentiment étrange, entre la joie et l'excitation, j'étais comme une petite pile électrique et, malheureusement, je n'avais pas faim du tout.

Je n'entendis aucune voix venir de son camping-car ; il n'y avait donc pas de discussion en cours cette fois-ci. Je m'étais alors permise de toquer à la porte, trop impatiente de la voir – alors qu'on ne s'était quittée même pas cinq toutes petites minutes.

– Entre, entre, me dit-elle de l'intérieur.

J'ouvris alors la porte et montai les deux minuscules marches rétractables. L'intérieur du camping-car était plongé dans une demi-ombre, et les murs et le sol étaient en bois d'acajou vernis.

Il était étonnamment spacieux et semblait être séparé en trois compartiments distincts par des fins rideaux translucides. Devant, le côté conducteur, évidemment. Au milieu, une salle de vie avec un canapé en coin, une table basse ronde – du genre oriental –, un côté cuisine avec une multitude de rangements, de placards encastrés, et d'ustensiles en bois. Puis, enfin, à l'arrière du véhicule, il y avait ce que j'avais supposé être la chambre.

Je voyais la silhouette de Pénélope qui se mouvait de droite à gauche, puis elle passa le rideau, amenant avec elle toute une grande bouffée de son parfum ; je l'avais humé à pleins poumons.

– C'est bon, je suis prête, me dit-elle en finissant de mettre en place une boucle d'oreille.

Elle portait, en plus de ses grands et ronds bijoux, son énorme chapeau de paille. Ça lui donnait un petit air de bohème qui lui allait à ravir ; et je la suivais, un peu déçue de déjà abandonner cet endroit ; mais j'étais tout de même ravie de découvrir ce lieu. Et c'était comme si je découvrais une partie de son intimité. Je me sentais ravie et privilégiée.

– On va manger dehors, vers la plage, ça te va ? me demanda-t-elle sur le pas de la porte.

– Tout me va ! rétorquai-je alors.

Et nous marchâmes de bon train vers la sortie. Pénélope voulait me montrer un petit food truck, non loin de la plage qui, selon elle, était une pépite gustative et qu'on ne trouvait pas mieux ici.

– Et en plus il fait super beau, ajouta-t-elle, on a de la chance aujourd'hui !

Quelques pas plus tard, par les sentiers cachés que m'avaient indiqué Maurice, nous débouchâmes sur ladite plage. Une petite étendue de sables fins, jaune à souhait et l'océan infini qui s'étendait devant nos yeux, jusqu'à se confondre avec le ciel ; et le ciel où pas un nuage, pas un avion, ne venait grimer. Seules des petites vagues venaient choir sur ce bout de paradis. Pénélope enleva délicatement ses chaussures, et marcha sans crainte sur le sable qui semblait déjà brûlant ; je la suivais toujours.

Elle tenait son chapeau d'une main – par peur qu'il s'envolât, sans doute –, et ses chaussures de l'autre :

– Si tu veux, on pourra se baigner, un de ces jours.

– Oui, pourquoi pas, ça peut être sympa !

– Peut-être même qu'on pourra faire des bains de minuit, ajouta-t-elle avec un clin d'œil. Qui sais !

Mes yeux s'écarquillèrent, mon cœur rata un saut, et Pénélope, aussitôt :

– Je rigole, bien sûr, c'était une blague, une simple blague.

Elle riait aux éclats, et aussi communicatif que son rire fut, je ne pouvais pas le partager, tant j'étais gênée... Pas une mauvaise gène cela dit, puisque mes pensées étaient envahies d'images... douteuses on va dire. J'étais presque déçue que sa proposition n'était qu'une simple blague, comme elle disait. J'avais alors les lèvres pincées, pour éviter de me les mordre. Et je ne savais pas si je me faisais des idées ou si Pénélope, mon ancienne prof d'art – il ne faut pas l'oublier – essayait de me draguer. Non, c'est absurde.

Après ce petit fou rire, à longer la mer, nous arrivâmes à l'entrée de la plage, et au bord de la route nous attendait le food truck ; une sorte de camionnette noire, anguleuse, avec un flanc ouvert où émanaient un grand panache de fumée blanche et toutes les odeurs d'une cuisine épicée. Et juste au-dessus de l'ouverture aménagée, écrit en lettre manuscrite, dans un style asiatique : « Le Wokambolesque ».

Deux messieurs, un grand et un moins grand – adolescent, même, je dirais –, dans un uniforme tout en blanc, cuisinaient la tête baissée, le dos courbé. Et juste devant, il y avait une petite terrasse aménagée : quelques pots de fleurs, des parasols, une fausse pelouse et quatre tables rondes, dont une occupée par un vieux monsieur et son journal.

Alors, le plus grand des chefs, à notre approche et sans même regarder dans notre direction, pendant qu'il sautait des nouilles et des légumes dans son wok :

– Pénélope ! Ça fait du bien de te revoir, s'écria-t-il avec cette voix rustre et pittoresque qu'on les crieurs sur le marché.

Puis, se redressant enfin et, s'essuyant les mains sur son tablier :

– Quoi de neuf ma belle ? Pas trop compliqué le retour au camping ?

Elle fit non de la tête, en toute simplicité, s'accouda au comptoir et lui adressa un sourire chaleureux.

Le chef cuisinier, celui qui l'avait appelé « ma belle » avait sur son visage cette familiarité qu'ont les bons vivants, cette absence de gêne et ce zèle dans les appellations possessives des clients – et clientes surtout ; loin d'être un mauvais garçon, ou un vulgaire machiste, il ressemblait plutôt à un gros ours, un peu paternel et non moins protecteur. Il avait cette sorte d'aura de bonhomie, de sourire constant, d'humain trop généreux que le monde ne pouvait éteindre.

Il dirigea son regard vers moi, me sourit et dit à Pénélope sans me quitter des yeux :

– C'est la petite nouvelle ?

– Elle-même ! mon bon monsieur, rétorqua-t-elle en posa sa main sur mon épaule.

Puis, sur le ton de la rigolade, il continua :

– C'est monsieur Bellini qui va être jaloux !

– Roh, si seulement... rajouta-t-elle dans un rire éclatant.

Et tous deux, comme deux bons vieux amis, rirent en cœur. « Monsieur Bellini, » décidément, je me faisais des idées ; il ne se passait rien entre elle et moi.

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant