Chapitre 3

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Les pas tranquilles de Maurice m'avaient conduit à un petit recoin calme du camping, une sorte de jardin secret, un petit bout de paradis perdu au milieu de cette forêt de pins épars. Là encore, le silence absolu du lieu régnait en maître ; et quelques oiseaux à peine osaient chanter. C'était seulement des petits cris brefs, volatils, furtifs, qui fusaient dans l'air. Et dans ce royaume où le vent et les arbres sont roi, il y avait aussi, très-craintif et très-majestueux, un fin matou beige, aux yeux jaune et perçant, plein de méfiance et d'appréhension.

– C'est Monarque, me dit doucement Maurice, toujours avec son sourire tranquille. C'est un peu notre mascotte, en quelque sorte.

– En quelque sorte ? répétai-je, curieuse.

– Oui, c'était un chat errant à la base. Puis Frédérique l'a adopté et depuis, il traîne toujours dans les parages. C'est un bon chat, très docile à celui qui a sa confiance.

Puis, dans un rire franc qui fit fuir ledit chat, il ajouta :

– Il a le caractère de son maître, haha !

Monarque bondissait avec agilité, s'enfouissant sous un buisson et disparut, laissant derrière lui que les quelques brindilles et nuages de fines poussières qui virevoltaient encore sous les coups brusques de ses petites poutounes.

– Vous allez voir ! continua Maurice. Dans deux jours, il ne vous lâchera plus !

Je ne sais pas si je suis une personne à chat, ou à chien d'ailleurs. Mes parents, étant des gens trop raisonnables, très soucieux de leurs dépenses, n'avaient jamais envisagé d'adopter un quelconque animal de compagnie ; et moi, par mimétisme je suppose, n'avais non plus jamais envisagé de posséder ou bien même de demander un animal de compagnie. C'est étrange non ? ce n'était pas le rêve de tous les gosses d'avoir un chat, un chien, ou je ne sais pas moi, un rat ?

Ou peut-être que ça venait de cette phobie que maman avait envers les chats ; tout ça parce qu'un jour, alors qu'elle était déguisée en saumon, pour un job étudiant, s'était faite attaquer par une meute de chats sauvages... quelle idée aussi ? et je ne suis même pas sûre que ce soit une véritable histoire, ou juste un de ses mensonges étranges pour se faire mousser pendant ses soirées afterwork entre copines du boulot...

Et pendant que je me perdais dans mes divagations aléatoires, tortillant mon index dans une de mes mèches, libérée de mon chignon lâche, Maurice m'avait indiqué ma place ; j'avais doucement hoché de la tête, comme pour acquiescer, encore toute perdue dans les méandres de mes souvenirs, dans mes questionnements sans sens...

– ... qui n'est autre que votre partenaire, et à côté, c'est Véronique, la mécano du camping si je puis dire. Et puis, là, le petit bungalow, c'est la maisonnette de Frédérique. Je crois que j'ai fait le tour, vous pouvez vous installer ! Vous avez besoin d'aide, peut-être ?

Maurice me montrait, tout fier, un petit lopin de terre d'à peine quelques mètres carrés. L'herbe y était jaunie, et çà et là, on pouvait voir la terre nue, stigmates d'une ancienne tente.

Mais le problème était que j'avais écouté la moitié de son monologue et je me sentais trop gênée pour le faire répéter... Alors, je bougeais juste la tête de haut en bas, dans un « non » mal assuré et le vieux monsieur me laissa seule, repartant dans sa marche lente et certaine.

Je m'étais lancée dans l'installation de ma tente, pleine d'assurance et de motivation ; je ne voulais pas paraître inutile, ou donner l'image d'un fardeau, d'une personne qui ne connait même pas le b.a.-ba du camping... En réalité, je n'ai jamais construit de tente de toute ma vie, c'était la première fois.

Je n'avais pas beaucoup de temps et c'était pour cette raison – mais aussi pour le fait que je n'étais pas la première des débrouillardes – que j'avais choisi une tente à « mise en place minute ». Et bien évidemment, comme toutes les publicités mensongères et les produits de qualité discutable, c'était tout l'inverse.

Monter cette tente, sous les ombres des pins et dans cet air d'été doucement suffocant, se révélait être une tannée. J'avais l'impression que tout le monde, le destin, la nature, le temps, était contre moi. Même la notice se foutait de ma gueule ! avec ses personnages tout souriant, comme s'ils passaient un merveilleux moment en construisant cette tente de l'enfer ! Et j'aurais donné tout l'or du monde pour retrouver l'illustrateur de ce fichu papier ! cinq minutes, ils disaient ! J'en avais mis trente moi, de minutes !

Et c'était bien plus tard, après cette bataille ridicule que je m'étais rendue compte de mon retard accumulé pour le rendez-vous qu'avait fixé Frédérique !

Je courais, sous le regard amusé de Monarque et de quelques oiseaux, qui se moquaient de moi eux aussi. Le bar n'était pas loin, non ; mais le temps était écoulé et sans doute que tout le monde m'attendait déjà.

Moi qui voulais donner une bonne impression, la première de surcroît, avait juste tout loupé... et en beauté ! Au moins, je pouvais me consoler d'avoir une tente montée... je n'allais pas dormir sous les étoiles cette nuit...

– Pardon ! criai-je, toute essoufflée en entrant dans le bar.

J'avais poussé les petits portillons de mes deux mains, et toute moite de sueur, et l'haleine haletante, j'essayais tant bien que mal de rester debout, droite, fière. Et à ma plus grande surprise, il n'y avait que Maurice de présent. Il était avec son fidèle cahier, et leva doucement la tête vers moi :

– Ah, vous êtes là, dit-il simplement.

– Désolée, c'est juste que le montage de ma tente m'a demandé plus de temps que prévu...

– C'est bête, rétorqua-t-il avec un petit rire. Frédérique est parti vous chercher il n'y a même pas cinq minutes.

Je déglutis. Mon séjour n'avait même pas commencé et voilà que les mésaventures avaient déjà deux tours d'avance...

– Ne faites pas cette tête, me rassura-t-il. Vous n'êtes pas la seule à être en retard aujourd'hui ! Il en a profité pour chercher Pénélope.

– Pénélope ? dis-je, intriguée.

– Oui, Pénélope, répéta-t-il. Votre partenaire.

– Ah oui ! Ma partenaire... Évidemment...

– Elle avait des problèmes avec sa caravane, il paraît.

Puis, en regardant par-dessus mon épaule, il me dit :

– Ah bah tiens, les voilà qui arrivent.

Une angoisse étrange, teintée d'impatience et de joie, sur une toile d'excitation, me gagna petit à petit. J'étais de nouveau comme un petit-enfant devant ses cadeaux de Noël et j'hésitais fortement à me retourner, entre la peur de me faire engueuler par Frédérique et la curiosité d'enfin mettre un visage sur cette fameuse partenaire.

Et comme ma curiosité avait pris le dessus, je me retournai, le plus naturellement possible, cachant tant bien que mal tout ce surplus de joie puérile que j'avais. Je ne savais même pas pourquoi j'étais si excitée à l'idée de la rencontrer, elle allait peut-être être exécrable ; mais mon cerveau n'avait pas prévu cette possibilité.

Et décidément...

Il n'avait pas non plus prévu d'halluciner de nouveau.

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant