Chapitre 12

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C'était une matinée comme celle de la veille, comme si rien ne s'était passé, et Pénélope, de sa constante bonne humeur, parlait et agissait sans jamais remettre sur le tapis cette situation étrange. On avait terminé les préparatifs assez vite, ce soir-là était notre toute première soirée, celle de l'ouverture du bar. D'après Frédéric, c'était la plus importante des soirées, qu'il ne fallait pas la rater. Seulement, je me demandais pourquoi il était si à cran par rapport à cette ouverture ; les seules personnes susceptibles d'y venir étaient les clients du camping, et la plupart semblaient être des retraités... qui d'autres alors pouvaient venir dans ce bar... C'était seulement plus tard qu'on m'avait dit qu'il était ouvert à tous, même ceux qui ne logeaient pas dans le camping. Frédéric avait pour habitude de préparer un petit discours d'ouverture. Ça promettait d'être une soirée chargée et intéressante.

– Je te laisse fermer le bar, me dit Pénélope après avoir fini de balayer la salle principale. Je dois faire quelques trucs... puis on va manger ?

– Quelques trucs ?

– Rien de bien grave, des petites affaires à régler...

– Ok, tu en as pour longtemps ?

– Non, ça devrait aller. Rejoins-moi devant mon camping-car, vers les coups de midi.

Elle était mystérieuse et ne voulait pas lâcher plus d'informations sur ce qu'elle comptait faire en attendant midi... Ça ne me regardait pas, c'est vrai, mais j'avais une folle envie de connaître ce qui la rendait si étrange. Elle était à la fois pressée de partir et doucement agacée par ce qui l'attendait... et j'avais donc plus d'une heure et demi à tuer avant de manger, avant enfin de parler de ce qu'il s'était passé...

Pénélope me laissa donc terminer les derniers détails à régler ; et quelques résidents habitués, que j'eus reconnu de la première fois, en balade matinale probablement, passaient devant la baie vitrée grande ouverte, curieux de voir qui restait encore là. Et étonnés de ne pas trouver un visage familier, ils me saluaient juste d'une main levée, passant leur chemin quelque peu déçu d'avoir loupé Pénélope, ou quelqu'un d'autre, sans doute.

Et c'était au moment de fermer les lieux que Maurice m'interpella ; lui aussi se baladait, profitant d'une certaine fraîcheur matinale encore. Il s'étonna de ne pas voir Pénélope avec moi :

– Elle vous a abandonné ? me demanda-t-il avec un petit rire.

– Non, elle avait des affaires à régler apparemment, et comme on avait fini le plus gros, elle est partie.

Il secoua doucement sa tête de haut en bas et pinça ses lèvres en un petit sourire. Un sourire qui en disait long. Il devait savoir ce qui rendait Pénélope si évasive. Puis, après un silence, il reprit sa lente marche en me saluant ; et prise d'une curiosité grandissante, sans fin :

– Maurice ! dis-je.

Il se retourna :

– Céleste ?

– Elle va bien, Pénélope ?

Simple et indiscrète, ma question était sortie de ma bouche d'un coup d'un seul. Et Maurice, leva nonchalamment ses épaules après avoir soufflé du nez :

– Oui, je crois.

– Vous... croyez ?

Et c'était un pas de plus dans l'indiscrétion et l'impolitesse, mais je ne pouvais plus m'arrêter, c'était trop tard.

– Je ne voudrais pas parler à sa place, répondit-il très poliment. Le mieux peut-être, c'est que vous en parliez avec elle.

Il me salua de nouveau, et reprit sa marche tranquillement, sans accélérer, mais tout de même résolu à ignorer tout autres questions que j'aurais pu poser. J'avais peur d'avoir froissé Maurice, lui qui était si gentil et serviable ; peut-être que cet excès de curiosité de ma part l'avait un peu contrarié... Mais il avait raison, je devais en parler avec elle... du moins si j'avais des questions c'était à elle que je devais m'adresser, et même si toute cette histoire ne semblait pas me concerner.

Une fois arrivée au campement, j'étais restée à quelques mètres du camping-car de Pénélope. Tout était calme et tout baigné dans l'ombre des pins ; j'avais regardé, les yeux dans le vide et pendant une poignée de secondes, cet immense véhicule, statique et impassible. Et de temps en temps, entre deux battements de paupières, je vis Pénélope à travers ses fins rideaux translucides. Elle marchait de gauche à droite, de droite à gauche, et semblait parler au téléphone, encore ; cette fois-ci, et même si ma soudaine curiosité abusive m'y poussait, j'étais restée à bonne distance pour ne rien entendre par mégarde.

J'attendais, assise sur une souche, les bras croisés, les pensées vagues, qu'elle finisse. Et au moment où je m'y attendais le moins, j'ai croisé son regard, à travers ses fenêtres. Elle avait levé son rideau, et me regardait, ou du moins regardait dans ma direction, jusqu'à tomber sur moi ; puisqu'autant que moi, elle était très-surprise de me voir.

Puis, après un instant de flottement, elle me sourit, pliant doucement les coins de ses yeux et de ses lèvres, sans montrer aucune dent. C'était son ravissement habituel, et je commençais, de plus en plus, à douter de la véracité de cette joie apparente ; j'étais loin de me douter que Pénélope fût ce genre de personne, à cacher ses angoisses, à toujours se montrer rayonnante aux yeux de tous, et ça malgré ses problèmes tapis dans l'ombre.

Elle me fit signe de la rejoindre, avant de poser son téléphone ; alors je m'avançai, non sans stress, mais elle était sortie de son camping-car avant même que j'atteigne la porte. Elle portait un panier en osier d'où sortait une nappe, un pain, une bouteille d'eau et de vin rouge, et des couverts ; et Pénélope se tourna sur le côté, s'essuya subrepticement les coins de ses paupières, et me dit :

– Désolée de t'avoir fait attendre ! on peut y aller.

Nous avions emprunté, à quelques détours près, le même chemin qu'hier ; mais cette fois-ci, nous nous arrêtâmes dans un petit coin perdu dans la forêt. Il y avait une table en bois au milieu d'un cercle dégagé de sable. Pénélope posa le panier à côté, installa la nappe et m'invita à m'asseoir :

– J'ai pris de quoi faire des sandwiches, nota-t-elle en disposant les différents ingrédients sur la table. J'espère que ça te va ?

– Oui, oui... mais tu n'étais pas obligée, tu sais, on aurait pu manger dehors, comme hier.

– Je sais, mais c'est bien aussi, d'être là, où personne d'autre viendra nous déranger, tu ne penses pas ?

– Si si, murmurai-je.

Je me demandais quelles étaient ses intentions ; pourquoi avait-elle besoin qu'on était éloigné de tous pour parler, et pour parler de quoi finalement ? Mais elle ne semblait pas, pourtant, prête à parler de quoi que ce soit ; elle continuait d'installer la table, de préparer les sandwiches, de nous servir à boire :

– Je te sers un verre de vin ? demanda-t-elle, la bouteille à la main, le sourire au visage.

Je m'assis en acquiesçant, en face d'elle ; elle me présenta une assiette avec mon verre et me dit, d'un ton léger, d'une voix chantante :

– Alors, le jeu de l'île déserte, on en était où, on avait pas fini il me semble, non ?

– Non, on avait pas fini, mais...

– Tu ne veux plus y jouer ? rétorqua-t-elle sans me regarder, tartinant une tranche de pain avec du beurre.

– Tu ne voulais pas me parler de quelque chose ? Par rapport à hier, comme quoi, c'était bizarre...

Elle s'arrêta net, la tête baissée, les bras ballants. Et, après avoir longuement soufflé, presque vidé tous ses poumons, elle me regarda, longuement ; elle souffla de nouveau, des narines cette fois, et d'une faible voix, presque tremblante :

– Si...

Alors, elle prit une profonde inspiration, et commença.

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant