Chapitre 27

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Le soir arriva très vite, entre la mise en place du bar, le temps de me débarbouiller de la nuit dernière, et de la journée, de manger et de tout le reste, qu'il était déjà l'heure d'ouvrir notre petite buvette.

Ça se sentait que le temps était passé dans le camping, parce que, sans le remarquer tout de suite, les têtes des clients avaient changé depuis la première fois que j'étais ici. La plupart ne restaient qu'une semaine ou deux, voire trois maximum. Le roulement des nouvelles personnes se faisait alors doucement, entre joyeux inconnus et visages nouveaux. Je me sentais drôlement bien ; totalement à l'aise à ma place de barmaid.

L'affluence en ce début de soirée était plutôt raisonnable. Il n'y avait pas trop de clients pour qu'on soit débordées, mais assez tout de même pour ne pas carrément s'ennuyer. J'avais alors le temps, parfois, entre deux pintes servies, de regarder Pénélope ; Pénélope qui, cheveux attachés, épaules nues, tablier ringard, minijupe, servait à merveille ses clients. Son sourire radieux, ses mouvements fluides, sa voix chantante et sa manière de rendre la monnaie, une par une, comptant méticuleusement chaque centime. Elle me regardait aussi quelquefois, et nous nous sourîmes l'une à l'autre à ces moments-là ; c'était comme si l'on était plus que nous deux au milieu de ce brouhaha de musiques, de tintements, de rires et de parlotes.

Et ce qui était merveilleux, par-dessus tout ça, c'était que Gilles n'avait pas pointé le bout de son nez de la soirée. J'avais Pénélope que pour moi toute seule ; et, loin de moi l'idée qu'elle m'appartienne, mais c'était agréable de ne pas sentir sa présence aux alentours. Pour plusieurs raisons. La première étant que je ne l'aimais pas, vraiment pas. Tout chez lui me dégoûtait presque. Sa manière de parler, de se comporter, de s'habiller, de bouger. Je ne sais pas du tout comment ils ont fait pour finir ensemble, et surtout comment elle a fait pour rester autant de temps en couple avec lui. C'était l'une des questions qui me brûlait les lèvres, mais qui en même temps, ne pouvait pas être posée, pas encore du moins. La deuxième raison était que Pénélope se sentait mieux, moins sur le qui-vive, moins à cran ; et ça, ça valait bien tous les trésors de ce monde.

Vers les coups de vingt-trois heures et quelques, un grand monsieur, l'air bon vivant, familier et grande gueule, vint s'accouder en face de moi. C'était le genre de personne qui semblait avoir vécu plusieurs vies, qui ne rentrait pas dans le moule de la scolarité classique, mais qui, par chance et adversité – mais surtout par chance –, avait fini par se faire une place, par survivre. Haut de chemise ouvert, short en toile, il avait l'accoutrement parfait de quinquagénaire en vacances. Il me regardait avec insistance et un grand sourire, ce genre de sourire que l'on adresse seulement aux personnes que l'on connaît ; et il semblait qu'il me connaissait. Et en le regardant de plus près, j'avais comme un vague souvenir de son visage, de cette familiarité respectueuse. Puis, soudain, par-dessus mon épaule :

– Tu es venu ! s'écria Pénélope, arrivant à toute berzingue à mes côtés.

– Et oui, je suis venu, ma belle !

« Ma belle ! » mais oui, c'était lui ! Le chef cuisinier du Wokambolesque, bien sûr ! Et maintenant, cette information en tête, il me revenait enfin. Sans son costume de cuistot, je ne l'aurais pas reconnu tout de suite, tant il dégageait beaucoup plus que la dernière fois qu'on s'était vu. Pénélope était sincèrement contente de le voir ce soir-là, sautillait même sur place. Elle me prit alors par les épaules, et me présenta, une deuxième fois :

– Te te souviens d'elle, j'espère ! lui dit-elle. Céleste, mon bras droit !

Puis, après une pause, avec un très grand sourire :

– Sans allusion sexuelle, aucune...

Ils rigolèrent tous les deux, dans un rire synchronisé. J'avais jeté un regard en coin vers Pénélope, et m'étais demandé si elle était saoule. Ce n'était pas la première fois qu'elle faisait ce genre de blague, mais cette fois-ci, pour le mieux j'avais supposé, je ne me sentais pas mal à l'aise. Alors, coupant leur rire :

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant