Chapitre 9

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Pénélope avait commandé pour nous deux ; j'étais dépassée par les événements, prise de court par la plaisanterie du chef, et j'étais, en plus de tout ça, ce genre de personne qui met une éternité à choisir ce qu'elle veut manger. D'autant plus que la carte de wokambolesque était loin d'être simple ; entre les plats que l'on pouvait composer nous-même, la multitude d'ingrédients, les suggestions du chef, les menus, les plats du jour, et autre promotion, j'étais vite perdue. J'avais alors opté pour la solution « je vais prendre la même chose que toi ! »

– Deux wok'n'roll ! cria alors le chef, tout en se mettant, lui et son second, en place pour préparer les ingrédients pour nos plats.

Crevettes – décortiquées et nettoyées –, poivrons, brocolis, pak-choïs, coriandres et tout un tas d'épices et de sauces défilèrent sur le plan de travail. Le chef avait des mouvements mécaniques, apparentés aux réflexes, et découpait les légumes avec une aisance et une rapidité absolue ; ce qui n'était pas le cas de son assistant. Bien plus jeune et moins expérimenté, il avait les mains hasardeuses, hésitantes. Et à plusieurs reprises, l'autre le reprenait, le conseillait et l'aidait.

– Vous pouvez vous installer, mesdames ! dit alors le chef, toujours le dos courbé sur son plan de travail. On vous apporte ça tout de suite !

Puis, après une hésitation, il nous regarda :

– Je vous sert à boire ?

– De l'eau ? me demanda Pénélope.

Je répondis oui de la tête et nous nous installâmes alors tout près du food-truck, pas trop proche de l'autre client et de son journal. Et mise à part les doux vacarmes de la cuisine, le tintement des ustensiles, le souffle du feu, et l'huile crépitante, rien ne venait perturber ce coin tranquille.

On était face à face, accoudées à cette table trop petite, dans une proximité intimiste ; je sentais son parfum, j'aimais ça ; je voyais ses yeux qui me regardaient à l'ombre de son chapeau, et son petit sourire qui ne semblait être destiné à personne. Elle avait posé sa tête contre son poing fermé, plissant ses joues et ses lèvres en une mignonne bouille ; alors, j'avais, dans la précipitation, regardé ailleurs, très-gênée.

Et du coin de l'œil, tout en tournant les pouces pour combler le silence, je le voyais toujours me regarder, sourire davantage, s'amuser de la situation sans doute. Puis, en saisissant mes mains anxieuses, elle me dit :

– Ça va ? Tu es toute rouge...

– Ça va ! rétorquai-je un peu trop fort et droite comme un i. C'est juste que... j'ai chaud...

J'avais retiré mes mains des siennes, pour croiser mes bras. Pénélope se redressa, et rigola doucement tout en s'éventant avec son chapeau, qu'elle avait retiré, après avoir remis en ordre sa chevelure. Elle secoua son menton de haut en bas, comme pour affirmer ma réponse ; et le regard dans le vide, elle fredonna de nouveau le même air qu'elle avait déjà chanté ce matin.

Quelques secondes s'écoulèrent. Je n'avais aucun sujet de conversation, et à part regarder le blanc de ses yeux ou battre la mesure sur la table, je ne savais pas quoi faire, ni quoi dire. J'avais l'impression d'être à un premier rendez-vous amour désastreux ; pourtant, Pénélope était calme, balançait doucement ses jambes croisées, fermait de temps en temps ses paupières pour se perdre dans ses pensées, et me regardait même parfois en m'adressant un sourire.

Et la tête légèrement penchée en arrière, elle me dit, comme sortie précipitamment de ses songes avec une idée révolutionnaire :

– Tu veux jouer à un jeu ?

– À un jeu ? répétai-je intriguée.

– Ça s'appelle le jeu de l'île déserte-

Le plus jeune des deux chefs arriva à ce moment, coupant Pénélope dans sa lancée. Il posa sur la table une bouteille en verre remplie d'eau ainsi que deux verres transparents ; deux verres où était dessinée dessus la marque du food-truck. Il nous salua en murmurant une phrase inaudible, puis s'en alla.

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant