Chapitre 28

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Le silence continuait un instant, puis, dans un murmure qui s'élevait de plus en plus – accompagné de bruits de chaises –, quelqu'un se séparait de la foule compacte ; c'était Gilles. Il n'avait aucune expression sur le visage, rien. D'abord marchant à reculons, le regard toujours posé sur Pénélope, il se tourna peu à peu, hésitant dans ses mouvements. C'était comme s'il ne réalisait pas vraiment ce qu'il se passait à ce moment-là. Et les clients le regardaient se mouvoir avec gêne, le suivaient, tous autant que moi, intrigués par cet éclat de voix, ce cri qui venait du cœur. De mon côté, j'avais déjà avancé vers Pénélope.

Et une fois arrivée à ses côtés, ayant bien attendu la sortie définitive de Gilles, je m'étais posée à côté d'elle, silencieuse ; je la regardais sans lui parler. J'attendais qu'elle fasse le premier pas, je voyais encore qu'elle était à cran. Les autres personnes dans le bar reprenaient peu à peu leur activité, et à la même vitesse, les murmures se transformaient en discussions croisées. Alors, au bout d'un instant, elle souffla, me regarda enfin, et m'adressa un sourire, puis :

– Ça va ? Je n'ai pas été trop... ?

– À peine, lui dis-je avec un sourire crispé.

Je ne pouvais pas occulter le fait qu'elle eut jeté un froid sur l'assemblé ; même elle s'en était rendue compte. Elle se massa la nuque, souleva ses cheveux, et me dit dans un chuchotement gêné :

– Heureusement que la moitié des gens ici sont alcoolisés, demain, plus personne ne s'en souviendra.

– Oui ! affirmai-je en rigolant.

C'était agréable de retrouver la Pénélope qui prenait tout à la légère, qui avait cette pointe d'humour en toute circonstance ; et elle ajouta qu'elle allait bien, que c'était un besoin qu'elle avait ressenti depuis longtemps, de crier, d'expulser ce qu'elle avait en elle, et que :

– Gueuler sur l'autre con de livreur, ça m'a ouvert les chakras, je te jure, tu devrais essayer ma petite Céleste ! Et je devrais peut-être même le remercier d'ailleurs ! Allez file à ton poste, des clients attendent déjà !

Et la soirée s'écoulait comme si cet incident ne s'était jamais produit. La bonne ambiance, les rires et les blagues graveleuses de fin de soirées revenaient à la charge. Entre les groupes d'amis venus ici pour un enterrement de vie de garçons, et les résidants du Chèvrefeuille, un concours du plus mauvais chanteur s'était lancé de lui-même ; et ils prenaient un malin plaisir à chanter comme une tripotée de casseroles les plus grandes musiques de la variété française. C'était en somme, mis à part le passage imprévu de Gilles, une très bonne soirée.

Quand les derniers clients partirent, il ne restait plus que le chef du Wokambolesque ; et il nous aida à ranger les affaires, très-content de mettre la main à la pâte. Surtout, je pense, qu'il était aussi curieux de connaître le pourquoi du comment, qu'est-ce qui avait fait pour qu'elle eût crié comme ça sur Gilles, elle qui, visiblement, d'après ses dires, était loin d'être une personne comme ça, et qui, même pour la pire des crapules, n'aurait jamais levé la voix. Alors, l'air de rien, sur un ton désintéressé, pendant qu'il passait un coup de chiffon sur le comptoir :

– Et dis moi Pénélope, tu me dis si je suis indiscret hein, mais, il va bien Gilles ?

Je lui avais jeté un regard bizarre et amusé tant sa manière de formuler sa question était plus qu'étrange. Il me répondit avec un haussement d'épaules qui voulait dire quelque chose comme : « je sais pas, j'ai improvisé. » Et Pénélope, dans un rire cristallin, ayant sans doute la même réaction que moi :

– Tu me fais rire, Tim. Tu as le chic, parfois, d'être aussi maladroit qu'un éléphant. Qu'est-ce que tu veux me demander ?

Il se gratta la tête, tout sourire, et s'avoua coupable de ses interrogations curieuses, puis, sans ménagement :

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant