Chapitre 16

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J'eus failli avaler de travers ma gorgée de thé ; mais à la place de ça, je l'avais recraché, en un panache volatile de postillons. Heureusement que j'avais tourné la tête à temps, et évité de peu celle de Pénélope. Alors, la seule victime de ma bourde fut le cuir de son canapé. S'en était suivi une petite quinte de toux, et il était fort à parier qu'à ce moment-là, j'étais aussi rouge qu'une écrevisse, qu'une écrevisse en train de s'étouffer avec son propre souffle. J'étais loin de me douter de sa réponse, et prit de court, je peinais encore à réaliser la réciprocité de mon sentiment.

– Ça va ? me demanda Pénélope, quelque peu inquiète. C'est trop chaud encore ? Tu t'es brûlée ?

– Non, non, ça va, dis-je d'une voix de vieille, raclant ma gorge entre chaque mot.

Puis, après une petite pause, sous le regard mi-amusée mi-concerné de Pénélope, je soufflai :

– J'ai juste avalé de travers.

– Hum... répliqua-t-elle en toisant son canapé, maintenant maculé de thé à la vanille. Je ne pense pas qu'on ait la même définition d'avaler.

– Non, mais ! Je voulais dire- c'est que- enfin... j'ai vraiment pas fait exprès tu sais !

– Encore heureux ! dit-elle aussitôt.

– C'était un accident... soufflai-je dans un murmure gêné, les mains jointes, et le visage rouge d'embarras.

– Je te taquine, ajouta finalement Pénélope en se levant pour prendre de quoi essuyer.

Puis, elle me passa un torchon à carreaux, du genre blanc et rouge ; typique de celles que l'on garde trop longtemps dans une cuisine et qui, à force d'utilisation, sent l'humidité. Pour ce dernier point, ce n'était pas vrai, ce torchon-là sentait vraiment bon. Je passai alors un petit coup, tâchant de faire disparaître chaque goutte de thé. Et enfin, Pénélope revint en face de moi, bu sa tasse, et, reposant son menton dans sa main, son coude sur la table, elle me dit :

– Du coup, tu veux parler de quoi ?

Je ne m'étais pas réellement préparée à ça, et en réalité, je ne pensais même pas aller aussi loin... alors, je n'avais pas grand-chose à dire... et même j'avais déjà dit tout ce que je voulais vraiment lui dire. Mais lui répéter que sa présence au quotidien me manquait, ne me semblait pas utile, puis de toute manière, par je-ne-savais-quelle-magie, je n'arrivais à prononcer aucun mot, aucune phrase. Et finalement, réalisant que j'étais de nouveau seule avec elle, une phrase arriva, comme sortie de nulle part :

– De toi... de comment tu te sens...

– Ouh... souffla-t-elle avec un demi-sourire et l'air las. C'est un vaste sujet, ça... Je ne saurais même pas par où commencer...

– Par ce que tu veux, c'est pas la première fois que tu te confies à moi, lui indiquai-je faussement confiante, pleinement souriante.

– C'est vrai, avoua-t-elle en baissant la tête.

Puis, elle se perdit dans son reflet à la surface de sa tasse, se sourit, de ce sourire nostalgique peut-être, se mordit la lèvre, et me regarda droit dans les yeux. Mais les miens, cette fois, fuyaient, étant trop gênés encore par l'incident de canapé. Et Pénélope, de sa voix quelque peu chantante, doucement teintée d'un accent italien, commença :

– C'est Gilles... sans surprise, tu me diras.

Gilles étant son fiancé.

– D'accord, dis-je en acquiesçant de la tête.

– C'est pareil chaque année, on doit passer un bout des vacances ensemble, qu'il vienne ici, mais il ne vient jamais... parce que monsieur est trop occupé par son travail, parce qu'il ne peut pas sacrifier son temps, que lui a un vrai job, contrairement à moi... bon ça il ne l'a dit qu'une fois, et sous le coup de la colère... mais quand même, c'était pas cool... Et puis, j'ai l'impression qu'il ne se rend pas compte, mais moi, j'ai refusé plein de choses, plein d'opportunités pour lui. Quand lui, voulait déménager en France, qui c'est qui l'a suivi ?

Puis, dans une verve fulgurante :

– Quand il a voulu se marier, que je ne voulais pas, parce que je trouvais ça stupide ! Qui a quand même accepté la bague de fiançailles ?!

Elle me montra une fine bague à son annulaire, et continua :

– Et puis, il n'y a pas que ça...

Dans un chuchotement rapide, comme si elle ne voulait pas qu'on l'entende :

– Lui veut un enfant, et moi, je me rends compte que je n'en veux pas ! Mais on essaye quand même !

Elle souffla lentement, s'adossa dans son canapé, puis prit sa tasse :

– J'ai pas spécialement envie de mettre au monde un gosse de plus dans ce monde qui brûle déjà... Enfin, voilà, en très résumé, ce qu'il se passe chez moi en ce moment...

Pénélope me regarda, elle but une gorgée, je fis de même, avec plus de précautions cette fois-ci. Et, sur le ton d'une conclusion, elle ajouta :

– Mais ça va s'arranger, n'est-ce pas ? Ça s'arrange toujours, non ?

Des situations où l'on se berce d'illusions, où l'on se ment à soi-même pour ne pas souffrir, par peur de l'inconnu et de la solitude, la plupart du temps, je les connais. Je les connais parce que moi aussi, je le faisais. Et j'avais l'impression que c'était le cas de Pénélope, qu'elle avait peur de lâcher son couple parce qu'elle y était trop habituée, parce que, et malgré les mauvais côtés, elle avait ses habitudes, ses repères ; et remettre en cause tant d'années n'est jamais une chose aisée, alors on cherche le chemin le plus court, le moins contraignant et l'on se convainc qu'à la fin tout rentrera dans l'ordre, que ça va passer, que ce n'est rien après tout, puisqu'il y a l'amour. L'amour qui, très probablement, n'est plus là, lui aussi, mais on a trop peur de se l'avouer...

Et moi, je ne lui ai rien dit, par manque de courage ou par manque d'assurance, peut-être des deux. Alors, dans un élan de complaisance, de phrase bateau, parce que je ne voulais pas la blesser, je répondis, sans grande conviction :

– Sûrement... après la pluie, il a le beau temps...

Et je me sentais si nulle, niaise et ridicule à la fois, qu'elle le remarqua. Alors elle retint un petit rire derrière sa tasse, et me regarda par-dessus avec les sourcils drôlement froncés. Et Pénélope me dit :

– Tu n'es pas très forte pour réconforter les gens, n'est-ce pas ?

– Pas vraiment, lui avouai-je, en me frottant la tête pour me donner une certaine contenance.

Alors, elle continua de me regarder, en plissant ses yeux, et ses lèvres s'étirèrent doucement. Enfin, elle se leva, fini sa tasse et se dirigea vers sa fenêtre :

– Ça me fait plaisir en tout cas, que tu sois venue, je veux dire. Et désolée encore pour l'accueil un peu froid, de tout à l'heure.

– Oh... c'est- c'est pas grave, t'inquiète, moi aussi, moi- moi aussi ça me fait plaisir, balbutiai-je, d'être venue, je veux dire. Ça faisait longtemps... et merci, pour le thé !

– De rien, souffla-t-elle dans un rire discret. Merci à toi pour m'avoir écouté.

Puis en jetant un regard dehors, en rigolant à moitié :

– C'est pas eux qui l'auraient fait hein... ça c'est sûr...

Ça me touchait vraiment de la voir un peu plus radieuse, et qu'elle eût apprécié ma compagnie. Mais je sentais qu'il restait quand même un gros morceau de chagrin en elle. En réalité, c'était quelque chose de plus immense qu'un simple chagrin ; mais Pénélope avait ce don de tout rendre petit à la surface, de cacher bien profondément en elle tout ce qu'elle ne voulait pas laisser paraître. Alors, en repensant à ce qui était écrit sur ma tasse, je raclai ma gorge, et lui dis :

– Et dis moi... ça te dirait de... enfin, si tu veux bien sûr...

– De ? rétorqua-t-elle en se tournant doucement.

– De faire une virée entre filles ce soir, que toi et moi, faire un tour en ville, se changer les idées... ce genre de truc quoi...

Pénélope fit une moue de réflexion intense, me regarda l'espace d'un battement de cils, se mordit la lèvre inférieure ; et, toute souriante quelques secondes, voire une minute, seulement après ma question :

– Oui ! Je crois que j'ai vraiment besoin de ça !

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant