Chapitre 21

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Je garde le silence un moment, bien consciente de toutes les oreilles indiscrètes qui traînent autour de nous, mais mon cerveau s'agite dans tous les sens. Je croyais que la Toile représentait une menace pour Ash, pas qu'il s'agissait de vieux amis avec lesquels ils auraient rompu les ponts il y a un siècle de ça. D'autant plus en sachant qu'Antonia, la femme qu'il avait soi-disant fuit depuis sa transformation, se trouve parmi eux ! Anica est loin d'être la seule amie qu'il a ici, et même si personne, hormis Sybil, n'a vraiment eu l'air d'être ravi de la présence de Rhys, aucun ne semblait se méfier de lui.

Lorsque nous atteignons les escaliers devant lesquels attendent toujours les deux vipères aux yeux glacés, Ash ralentit légèrement le pas et glisse lentement sa main jusqu'au creux de mes reins, là où les chaînes de ma robe s'entrelacent. Elles suivent son geste d'un air détaché, mais n'en manquent pas une miette pour autant. Suite à quoi elles nous observent descendre ces interminables escaliers en silence. Je manque de tomber une ou deux fois lorsque mes traîtres de talons se prennent dans le bas de ma robe, mais Ash me tient si fermement contre lui qu'il m'empêche de finir sur les fesses. Ses yeux sont rivés devant lui, indifférent à ce qui se passe dans la salle autant qu'à ma présence dans ses bras. J'ai le vague espoir qu'il se dirige vers le bar où m'attend toujours mon verre, mais au lieu de ça il bifurque vers une petite alcôve entre deux colonnes à droite des escaliers et me pousse sur le divan crème qui s'y trouve. Une couleur pas très judicieuse au vu de la population locale et de leur goût pour l'hémoglobine. J'ai beau lever les yeux au ciel et râler d'être traité comme un vulgaire sac à patate, il n'accorde pas la moindre importance à mes jérémiades.

— Pourquoi tu tires une tronche pareille ? On a eu ce qu'on voulait non ?

Il me jette soudain un regard d'avertissement, signe que finalement, il m'entend très bien, mais qu'il préfère m'ignorer. Evidemment... J'ai parfaitement compris que nous sommes toujours écoutés, il suffit de voir les deux garces postées en haut de leurs escaliers pour le comprendre. Elles ne nous ont toujours pas lâchées des yeux.

— Bien homme des cavernes, comme tu sembles avoir perdu ta langue, je te suggère d'aller me chercher un verre pour me prouver ton amour, j'ai la gorge désespérément sèche.

Il fronce les sourcils et son front si parfait se fend de plusieurs rides contrariées. Je soutiens son regard furieux sans sourciller. C'est lui qui m'a demandé de jouer à ce jeu idiot, il ne croyait quand même pas s'en tirer sans faire le moindre effort ?

— Je ne bouge pas, c'est promis, ajouté-je en battant exagérément des cils.

Il soupire, passe une main sur son front et se penche vers moi, si près que sa bouche est littéralement collée à ma tempe.

— Tu sais que tu vas le payer plus tard petite chose ?

Je le repousse du plat de la main et pour une fois il se laisse faire.

— Allez mon amour, sois gentil, j'ai besoin d'un remontant, insisté-je en accentuant grossièrement les premiers mots.

Il secoue la tête et la colère laisse place à une pointe d'amusement qui lui arrache un sourire. Ses épaules s'affaissent légèrement et il finit par se rendre d'un pas tranquille jusqu'au bar où ma nouvelle amie la barman l'attend déjà de pieds fermes. Ce qui règle au moins une question, elle a, elle aussi, une ouïe surdéveloppée qui n'a absolument rien d'humain. Reste à savoir à quelle espèce elle appartient et si elle risque d'attenter à ma vie entre deux cocktails.

Je laisse mon regard se perdre dans la salle, observant d'un œil distrait les quelques danseurs et les invités plus discrets qui se regroupent ça et là pour discuter ou se nourrir. Cet endroit est surréaliste et ce qui s'y passe l'est tout autant, pourtant j'ai beau essayé je ne suis pas aussi horrifiée que je ne le voudrais par ce que je vois. La Mave d'il y a encore quelques semaines aurait complètement vrillé. Celle d'aujourd'hui compatit légèrement à leur sort, bien consciente de la douleur que représente les crocs des vampires, mais mon aversion s'arrête là. Je suis mal placée pour juger qui que ce soit ici étant donné que j'ai accepté le marché d'Ash. Ces gens ont peut-être leurs raisons eux aussi et puis, contrairement à moi, ils ne semblent pas souffrir, bien au contraire.

Let's dieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant