Chapitre 36

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Jenny poussa la porte et se retrouva dans la rue, les cartes pliées dans le dos. Ses pieds baignaient déjà dans une terre boueuse mais la fraicheur du matin disparaitrait avec elle. Bientôt, tout ne serait que sol friable et sécheresse.

Au détour d'une maison, elle aperçut l'elfe rentrer, les mains dans les poches de sa longue veste.

La vampire croisa les bras sur sa poitrine, le regard perçant :

— Te revoilà, toi...

— Quel accueil !

— Tu t'es bien servie de moi, Chérubin.

— Ah ?

— Tu m'as fait croire hier soir que l'on pouvait... Enfin, tout ce que tu voulais, c'était mettre Duncan en rage.

— Vous vous êtes bien amusés après mon départ ?

— Ferme-là, tu veux ?

À ce moment, rien n'était plus irritant pour la guerrière que le sourire cynique du prince. Il la narguait comme un adolescent immature après avoir commis une forfaiture.

— Ça me dérange un peu que tu calques mon visage sur celui de Duncan quand vous baisez.

Jenny écarquilla les yeux, peut-être un peu trop pour qu'elle puisse démentir la phrase de son ami par la suite.

Elle engloutit les deux mètres qui les séparait et lui empoigna violemment le col :

— Une bonne fois pour toute, Chérubin, boucle-la. Tu te crois malin mais en somme tu n'es qu'un puceau frigide.

— Restez polie mademoiselle...

Un bon coup de poing dans le nez le calma. Il s'effondra sur le sol, les narines en sang.

— Que se passe-t-il ici ?

La voix Duncan trancha l'air.

— Nous n'avons pas le temps pour vos arriérations ! On regagne le campement sur le champ !

— Ils ne peuvent pas nous rejoindre à l'entrée des égouts ?

— Chérubin, obéis et tais-toi.

— Vous vous êtes fait passer le mot, on dirait...




Hervan et ses Égorgeurs les attendaient en selle, la capuche sur la tête.

— Bamyane vous a aidé ? demanda-t-il à son second.

— Oui.

— Parfait, nous n'avons plus qu'à gagner les souterrains. Chérubin ? Le mage t'attend dans la voiture.

L'elfe se mordit la lèvre, guère rassuré par les remontrances qu'il allait subir ; il avait juré à Locea de lui rester fidèle et si jamais cette dernière apprenait son comportement de la veille...

Il monta le marchepied et retrouva le mage, allongé sensuellement sur sa couchette.

— Ma chérie ?

— Mmh ?

Elle se redressa avec son élégance et posa les yeux sur son amant. Sans hésiter, il se pencha vers elle et l'embrassa.

— Tu es bien un elfe, Morgal, déclara-t-elle.

— Pourquoi dis-tu ça ?

— Tu parviens parfaitement à cacher tes pensées : je sais ce que tu as fait hier.

— Dans ces cas-là, tu n'ignores pas que je ne voulais pas te tromper, simplement provoquer Duncan.

— Tu joues avec le feu, Chérubin.

Il haussa les épaules sans se départir de son éternel sourire.

— De toutes façons, tu m'as marqué. Je dépends entièrement de toi.

— Et je tiens à ce que les astres à la capitale le voie. Mais regarde-toi dans ce miroir.

Morgal empoigna la glace et ne put s'empêcher un juron : cette fois-ci, l'arabesque s'étendait sur son autre joue. Impossible de passer à côté d'un tel signe de soumission. L'elfe soupira devant cette atteinte toujours plus poussée à son amour propre.

— Locea ?

— Qu'il y a-t-il ?

— Qu'attends-tu de moi, précisément ?

— Je te le dévoilerai bientôt. Mais patience : tes désirs ne tarderont pas à être comblés.

— Encore une chose, ajouta-t-il, existe-il des elfes à Atalantë ?

— C'est possible, répondit-elle énigmatiquement.

— « Vivement qu'on arrive à la capitale... Encore faut-il que le roi ne décide pas à m'assassiner. »




Il fallait abandonner la voiture à l'entrée des égouts. Morgal aida le mage à descendre et tous deux suivirent le groupe dans le couloir insalubre. Certains vampires allumèrent l'opale de leur bâton pour illuminer le passage. Heureusement, des parapets permettaient d'avancer sans se mouiller les jambes dans l'eau croupie.

— « Ça empeste ! »

— Tu ne souffres pas trop, princesse ?

— Garde tes commentaires pour toi, Jenny.

— Tu espérais traverser une roseraie ?

— C'est comme ça jusqu'à la capitale ?

— Oui, mais ne t'en fais pas : nous aurons l'occasion de nous laver avant de rencontrer le roi.

Morgal soupira à l'idée d'un voyage si bucolique. Escorté de gens qu'il détestait, il appréhendait l'état de ses nerfs à la sortie du tunnel.

Gloire et Déchéance - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant