Les naseaux du cheval suintaient et de la bave s'accumulait sur le mors. Les montures elfiques étaient résistantes mais pas non-plus inépuisables.
Les sabots martelaient violemment le chemin dans un rythme effréné. Morgal jeta un regard derrière son épaule ; ses poursuivants gagnaient du terrain. Finalement son cheval n'était peut-être pas le plus dégourdi de tous. Il jura et enfonça d'avantage ses talons dans les flancs de l'animal qui hennit de douleur.
Sur les côtés, les arbres se resserraient sur eux, transformant la course poursuite en une traversée de tunnel.
Morgal n'osait imaginer ce qu'il arriverait s'il se faisait attraper. Son père ne lui pardonnerait définitivement plus ses actes et il était bon pour la peine capitale. Comme quoi, être prince, contrairement à ce qu'il le pensait, ça ne sauvait pas de tout.
Et à l'heure actuelle, il devait semer les gardes. Les affronter n'était même pas envisageable : rien que leur armure d'argent étincelante reflétait leur capacité à occire un adversaire.
Mais son espoir d'évasion fut vite arraché par la vision d'un fleuve qui traversait le chemin perpendiculairement. Le gué normalement praticable s'était transformé en véritable torrent impétueux sous les averses de l'hiver.
Cependant, il n'avait pas le choix. Il talonna une nouvelle fois sa monture et la mena jusque dans les eaux glaciales.
Derrière, les soldats ralentirent, hésitant à se risquer dans un tel danger.
De son côté, Morgal força le chemin mais les sabots de l'étalon dérapaient sur les pierres immergées. Déjà, l'eau lui arrivait jusqu'au poitrail et la panique se lisait dans ses yeux fuyants. Il se cabra violemment, se faisant emporter par le tumulte des flots.
L'elfe se cramponna à l'encolure pour ne pas être désarçonné mais l'animal se faisait entrainer par le courant, incapable de tenir tête.
Trempé, Morgal regarda de tous côtés pour distinguer un rocher auquel se raccrocher. Mais un tonnerre assourdissant et continu l'arrêta dans ses recherches et le glaça de terreur : les chutes se rapprochaient et d'ici quelques minutes, il serait jeté du haut de la falaise.
Sur les rives, les cavaliers le suivaient sans pouvoir intervenir.
Morgal sourit ironiquement : s'il devait mourir, ce serait au moins de sa propre initiative.
Il fut vite interrompu dans ses réflexions lorsque le sol se déroba sous les sabots du frison. Le ciel bascula au-dessus de sa tête et le temps s'arrêta. Pendant de longues secondes, il eut l'impression de planer dans le vide, toujours accroché au cou de sa monture. Puis un choc d'une rare violence lui arracha un cri de douleur alors que son esprit perdait connaissance...
Morgal ouvrit brusquement les yeux et se retourna pour recracher toute l'eau ingurgitée dans ses poumons. Une douleur lancinante lui brulait la gorge alors que son épaule lui arrachait des gémissements de souffrance. Il balaya les mèches mouillées qui entravaient sa vue et rampa sur les coudes jusqu'à ce que ses pieds ne trempent plus dans l'eau. Sur la berge, le cheval hennissait en se cabrant successivement. À en juger sa jambe repliée, il avait dû se fouler lors de la chute.
Le prince souffla de soulagement mais malgré sa survie, ses affaires étaient trempées, son épaule et sa monture blessée et il n'avait aucune idée de là où il se trouvait.
Il se releva maladroitement en poussant un râle et s'approcha doucement du cheval affolé. Ce dernier n'était pas convaincu et continuait à se dresser sur ses sabots, manquant de s'effondrer à cause de sa blessure.
— Du calme, murmura Morgal en tendant la main vers son nez.
Grâce aux caractéristiques propres à la langue elfique, il parvint à l'apaiser. Le cheval tourna ses longues oreilles vers son maître et renâcla jusqu'à se laisser toucher.
Morgal soupira et lui prit la bride pour le mener dans le sens du fleuve. En faisant l'inventaire, il conclut qu'il n'avait rien perdu dans la chute mais que ses armes trempées risquaient de se détériorer avec l'humidité.
Il avança jusqu'à ce que les arbres se fassent plus clairsemés et que la mer apparaisse à ses yeux turquoise. Plus bas, il distingua un port avec une galère prête à prendre le large.
Le sang ne fit qu'un tour dans ses veines : son espoir de salut se trouvait dans ce bateau. Avec un peu de chance, il quitterait Calca.
En s'approchant des entrepôts et des maisons de pêcheurs, il comprit rapidement que cet endroit était illégal. Rien que la puanteur qui émanait des rues et la saleté qui s'agglutinait dans chaque recoin indiquaient qu'il se trouvait dans un port non-elfique. D'ailleurs, il ne vit que des nains, des lumbars et quelques gnomes.
Il s'avança donc vers la passerelle sur pilotis où était encré le navire. Il reconnut le capitaine, un gros lumbars revêtant l'uniforme de la Ligue Marchande et flanqué d'un cormoran déplumé.
— Mais regardez qui voilà, ricana-t-il à son second, une paire d'oreilles pointues qui se pointe devant nous !
Le subalterne, un nain à la coiffure brune alambiquée, le regarda au-dessus de ses petites lunettes cerclées de fer alors qu'il griffonnait dans un registre.
— T'es là pour nous balancer à la milice ? gronda le capitaine en postillonnant.
— Non, rétorqua-t-il pas très à l'aise, je voulais juste savoir où vous alliez...
— Tu veux embarquer ? On part pour Fanyarë avec la cargaison. Si tu veux ta place, va falloir payer.
— Je vous donne le cheval.
— Ah ouai ? Ton canasson à une patte qui fout le camp. Il est bon à rien.
— Rien ne vous empêche de l'abattre et d'en faire de la viande ainsi que du cuir.
Le lumbars partit dans un rire tonitruant, attirant l'attention de l'équipage, sur le pont.
— C'est pas illégale de tuer les bêtes dans ce pays ? Je croyais que les elfes ne mangeaient pas de viande, hein ? T'es un fugitif qui traine des casseroles, c'est ça ? T'en fait pas, j'ai besoin d'un type pour laver le pont pendant la traversée. Je te prends avec le canasson, ça marche ?
Morgal hocha la tête, espérant que le barbare du grand nord n'essaie pas de le vendre à la première escale.
— Et je peux savoir pourquoi t'es trempé comme ça ? interrogea le capitaine en marquant la présence de l'elfe dans le livre de bord, eh, les gars ! Il est sorti de la chatte d'un léviathan !
Morgal leva les yeux, ignorant les rires gras de l'équipage. Le voyage serait sans doute long...
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Gloire et Déchéance - Tome 1
FantasiMorgal a jusqu'ici vécu dans un luxe débridé sans réellement se soucier des responsabilités qui incombaient à son rang. Issu de la plus haute maison elfique de Calca, il voit sa vie basculer lorsqu'il est envoyé avec son frère jumeau dans une école...