Encore sous le coup de la fascination, Morgal ne se retourna qu'après de longues secondes vers Hervan.
Ce dernier se cramponnait encore aux accoudoirs de son siège, les yeux révulsés.
— Ainsi prend fin ta secte, l'ami.
L'humain ne répondit pas, conscient de sa défaite. Son turban défait laissait entrevoir les marques encore fumantes de l'elfe.
— Morgal, finit-il par dire, nous avons fait de toi une machine à tuer. J'en accepterai les conséquences. D'une certaine manière, j'en tire une certaine fierté...
— Dommage que toute la Confrérie doive y laisser la vie, désormais.
— Tu vaux plus que tous mes hommes réunis. Si nous devons tous mourir pour que toi, tu grandisses, alors soit. Mais tu auras désormais l'interdiction de reculer, ou même de perdre.
— Merci pour l'encouragement, ricana le vampire en saisissant l'épée d'un Ilfégirin.
— Morgal, continua le vieil homme, je suis sérieux. Tu seras tout ce qui reste de ma confrérie. Le produit parfait, d'une certaine manière, qui a été si vorace qu'il a dévoré ceux qui l'entouraient pour augmenter sa puissance.
— Tes déblatérations me fatiguent, le vieux, soupira-t-il en faisant refléter la lame à la lumière du crépuscule.
Hervan baissa la tête :
— Locea avait raison, méfie-toi de la femme que tu as aperçu dans tes visions. Je refuse que tous ces sacrifices ne soient vains...
Morgal coupa sa phrase en faisant de même avec sa tête. Le chef d'Hervan roula sur le tapis et se défit de sa coiffe.
Intrigué, l'elfe se pencha pour ramasser le foulard qui ceignait le crâne de son défunt supérieur. Il le déplia et y découvrit une phrase qui ironiquement, le fit sourire :
« Le pouvoir ne s'obtient qu'au prix du plus grand sacrifice ».
La devise de la Confrérie ne s'appliquait pas ici au jeune prince. Peut-être que ce n'était qu'une question de temps avant que ce précepte ne resurgisse...
Pour ne pas quitter les lieux les mains vides, il saisit une sacoche du malheureux défunt et y enfouit tous les documents confidentiels qui concernaient la plupart des royaumes de la Dimension. Hervan avait toujours été une véritable mine d'informations. Il aurait été idiot de s'éclipser sans en profiter.
L'elfe se redressa et quitta le bureau avec la ferme envie d'éradiquer le reste de la secte. Inutile pour lui de crapahuter à chaque étage de l'immense bâtisse pour retrouver ses cibles. Une simple transmission de pensée suffisait à tous les anéantir.
C'est en prenant le chemin des écuries que Morgal appliqua sa terrible vengeance. Il voulait une mort douloureuse pour ses ennemis. Il leur fit éclater les veines et remplir les poumons de sangs. Lorsqu'il en croisa dans les escaliers poussiéreux du manoir, tous se tordaient sur le sol, pris de convulsions et expectorant.
Un sourire jouissif se dessina sur le visage du tortionnaire. Ce spectacle l'amusait. D'un certain côté, c'était du gâchis : tant d'Ilfégirins qui rendaient l'âme. Mais il s'en moquait bien. Tant que ses pulsions de violence vampiriques pouvaient être rassasiées...
Pourquoi l'anéantissement sanglant de tant de créatures le mettait dans un tel état de bien-être ?
Il repassa par les appartements de Locea afin de récupérer l'indispensable pour un voyage. Quelques vivres et vêtements rejoignirent les documents secrets d'Hervan dans ses bagages.
Son manteau sur les épaules, ses bottines aux pieds, il accrocha une épée et une dague à sa ceinture avant de rejoindre sa fidèle monture.
Alaxos dressa ses oreilles à l'arrivée de son maître, intrigué par ce départ impromptu.
— Chérubin... Qu'as-tu fait ?
Le concerné se retourna vers Jenny dont le visage dévasté laissait transparaitre une totale incompréhension. Il haussa les épaules et sella le frison en vue de déguerpir au plus tôt :
— Trouve-toi une nouvelle maison, Jenny, déclara-t-il, celle-ci est morte.
— Tu... Tu as tué nos compagnons ?
— Tes compagnons. Ils n'ont jamais été les miens. Désolé, Jenny.
— Tu...
La vampire fondit sur son ami pour lui saisir le col de sa tunique :
— Tu as détruit la Confrérie ! hurla-t-elle de rage, et tu t'enfuis après ton forfait ! Tous ces hommes et femmes étaient mes amis, mes frères et sœurs !
— Je trouve tes propos très incestueux.
Elle le plaqua violemment contre la palissade de l'écurie :
— Je t'aime bien, Chérubin, mais ton acte mérite une sentence à la hauteur.
Elle dégaina son cimeterre, prête à l'embrocher. L'elfe éclata de rire devant le comportement de son amie :
— Ma chère Jenny, et comment ai-je tué tes petits amis, hein ? Je suis désormais le détenteur de la marque. Je peux te tuer sur le champ.
— Alors pourquoi ne l'as-tu pas fait ? Pourquoi ne m'as-tu pas réservé le même sort que les autres ?
Morgal haussa un sourcil en fronçant l'autre :
— Tu es à mes yeux la seule qui méritait de vivre. Ne me prouve pas que j'ai eu tort.
Fébrilement, la guerrière s'assit sur un caisson, vidée de toute énergie. Elle paraissait terrassée par les événements. Tous ceux qu'elle côtoyait pendant des siècles agonisaient autour d'elle dans des hurlements de souffrance.
Mais elle n'implora pas la pitié de son Chérubin. D'une certaine façon, elle s'était déjà préparée à quitter cette famille qu'elle s'était forcée à aimer.
Le soleil se coucha derrière le versant opposé, signant ainsi la fin d'une vie remplie de crimes et de sang.
— C'est un nouveau départ pour nous, soupira Morgal en enfourchant Alaxos.
— Pourquoi ?
L'elfe tendit ses oreilles d'interrogation face à la mine atterrée de la vampire.
— Pourquoi je n'arrive même pas à t'en vouloir ? sanglota-t-elle, tu viens de m'arracher ma vie.
— Je viens de te libérer, Jenny.
Elle redressa son visage larmoyant.
— Quel est ton nom ?
— Désolé, je ne peux te le dire malgré ma promesse. Considère ça comme le seul mensonge que je t'ai infligé.
— Alors c'est la fin ? L'heure des adieux ?
Morgal sourit sans lâcher le paysage de ses magnifiques yeux azurés.
— Le destin nous réunira, Jenny, fille de Loumi. Et à ce moment, je te dévoilerai ma réelle identité.
La guerrière s'était relevée pour poser sa main sur celles de son ami :
— Tu me manqueras, princesse.
— Je suis un Ilfégirin, maintenant, Jenny.
Elle hocha tristement la tête :
— Au revoir, Chérubin.
— Au revoir, Jenny.
Un talonnement dans les flancs et Alaxos s'échappa de l'écurie au galop, son maître sur son dos. Entre les râteliers, la vampire regardait son ami s'engager sur le pont étroit et disparaitre sur le chemin sinueux qui le guidait vers une nouvelle vie.
Le vent s'engouffra dans la chevelure blonde du prince, ce vent de liberté qui lui criait sa revanche sur le monde.
Fin
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Gloire et Déchéance - Tome 1
FantasyMorgal a jusqu'ici vécu dans un luxe débridé sans réellement se soucier des responsabilités qui incombaient à son rang. Issu de la plus haute maison elfique de Calca, il voit sa vie basculer lorsqu'il est envoyé avec son frère jumeau dans une école...