La route pour le Sud eut l'avantage de se rapprocher d'un climat plus clément. En fait, c'était bien le seul point positif de cette traversée. Car Morgal se demandait bien s'il ne serait pas plus simple de se jeter par-dessus bord pour abréger ses quotidiens désastreux.
Marin médiocre, il se donnait toutefois à sa tâche qui se résumait à laver le bâtiment de mât de misaine aux caves infestées par les rats.
— « Aucune hygiène, ces barbares ! » râlait-il.
Lui qui avait vécu dans un luxe permanent, il tombait bien de haut avec ces basses besognes. Étant un elfe, le reste de l'équipage portait une forte aversion à son encontre. Chacun avait dû perdre un être cher à cause de son peuple, avait-il conclut. Mais au fil des jours, cela devenait lassant et irritant.
Dès le premier instant, le lumbars, le capitaine Nassër, lui avait expliqué les fondamentaux du voyage :
— Bon, l'elfe. Ici, c'est moi qui commande donc pas d'entourloupe, hein ? Si je te demande de récurer ma cabine à l'heure la plus tardive de la nuit, tu le fais. Si je t'ordonne de m'apporter mon repas et de cirer mes bottes, tu le fais. Si...
— C'est bon, j'ai compris.
Il avait écarquillé les yeux sous ses gros sourcils froncés et avait ajouté :
— J'aime pas ton petit air d'angelot, l'elfe. Je suis au courant que ta race n'est qu'une bande de cul-terreux perfides. Alors dans ce bateau, ton seul équivalant, ce sont les rats pestiférés des soutes, c'est clair ?
Morgal soupira en se rappelant cette joyeuse conversation. Certes, il ne voulait pas devenir un grand guerrier. Mais être rétrogradé à un mousse harcelé à cause de ses origines ethniques, ce n'était pas mieux.
Il reposa la serpillère dans le sceau et leva la tête vers le cheval qui le regardait de ses grands yeux.
— Arrête, gronda l'elfe, je devais monter dans ce bateau. Je n'y peux rien si tu t'es blessé... Bon, un peu mais je t'assure que je ne voulais pas qu'ils choisissent de te manger.
L'étalon secoua sa crinière comme pour témoigner son mécontentement.
Aussi, comme s'il voulait échapper à sa culpabilité, Morgal quitta la réserve et remonta jusqu'à la dunette. Au loin, la mer d'Encre s'étendait à l'infini. C'était légèrement angoissant pour un elfe non-habitué à ce genre de locomotion. Mais nécessaire pour sauvegarder sa liberté.
— Encore en train de glander, le cul-terreux ?
Le concerné souffla d'exaspération en sentant le capitaine recommencer ses commentaires inutiles. Accoudé au gouvernail, il demeurait oisif, observant la moindre activité sur le pont. Sur son épaule, le cormoran croassait à s'en décrocher le bec.
— Votre navire est propre, rétorqua Morgal, maintenant, s'il part en miettes, c'est un menuisier qu'il faut appeler.
Nassër grimaça devant l'insolence de son mousse. Il déficela le haut de ses grègues et urina sur le pont :
— Tu peux laver maintenant, ricana-t-il.
Morgal se mordit la joue, fulminant.
— « Je vais te la faire manger, cette serpillère ! »
— Tu sais quoi, le gnome ? ajouta le lumbars, tu me fais penser à une putain que j'ai sauté dans un bordel d'Arminassë. Sauf qu'elle était plus enjouée que toi... Toi, t'as une sale tête d'aristocrate pédant. Ça me fait rire de te voir laver mon bateau.
Le prince haussa un sourcil : il avait la preuve que toutes ces créatures appartenaient à la case « races inférieures », comme le dénommait son père.
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Gloire et Déchéance - Tome 1
FantasíaMorgal a jusqu'ici vécu dans un luxe débridé sans réellement se soucier des responsabilités qui incombaient à son rang. Issu de la plus haute maison elfique de Calca, il voit sa vie basculer lorsqu'il est envoyé avec son frère jumeau dans une école...