Chapitre 45

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Épuisé, Morgal continuait à se hisser par la force de ses bras jusqu'à l'extrémité du balcon. Un ruissellement interrompu de sang s'échappait de ses narines et tous ses membres tremblaient douloureusement.

L'incendie se découpait comme le feu d'un phare en pleine nuit. Toute la ville devait l'apercevoir à cette hauteur. Les flammes contrastaient dans une danse macabre sur l'obscurité du ciel nocturne.

Malgré son état, l'elfe devina les domestiques affluer dans les appartements afin d'éteindre le terrible accident qu'il avait provoqué. Évidemment, il n'avait pu disposer du temps nécessaire pour trouver les contrats donc tout détruire lui était apparu comme une idée suffisamment brillante pour remplir à bien sa mission. Après son forfait, il s'était réfugié à l'extérieur du palais et essayait tant bien que mal de rejoindre son aile.

Avec un dernier effort, il s'engouffra par une fenêtre et s'affala dans une chambre, sa cage thoracique ne cessant de se lever et de se baisser dans une respiration pénible.

Son roulé-boulé attira le propriétaire des lieux.

— Chérubin ? C'est bien toi ?

— Oh Jenny, le Créateur soit loué...

La vampire descendit de son lit en catastrophe, chassa l'Égorgeur qui partageait sa couche, et se précipita aux côtés de son ami.

— Ne me dis pas que c'est le roi qui t'a mis dans cet état !

— Non, c'est ma magie...

— Tu as encore forcé ?

Morgal ne put répondre tellement il était harassé. Devant son état lamentable, Jenny le souleva dans ses bras et le posa dans un fauteuil avant de lui apporter un verre de sang.

— Tu te sentiras mieux, après ça.

— Merci...

Petit à petit, l'elfe reprit ses esprits. Son corps se calma et la douleur diminua lentement. Jenny venait d'opérer un transfert de magie sur lui afin de le soulager.

— Tu as réussi ta mission ?

Il baissa piteusement la tête.

— Tu as échoué ?

— Je crois que les contrats sont bel et bien détruits... comme le reste de la bibliothèque.

Son amie resta bouche bée quelques secondes, choquée.

— Tu as déclenché un incendie ?

— Oui...

— Mais tu es fou ?! Avec une telle chaleur, tout s'embrase comme de la paille ! Le palais entier aurait pu y passer !

— Aujourd'hui, demain ou dans un siècle, il finira par s'effondrer...

Elle soupira et déclara :

— Je doute qu'on te laisse une heure de plus ici. Tu ferais bien de quitter la ville.

Comme pour appuyer ces dires, Locea pénétra soudain dans la chambre.

— « Mais qui voilà donc ! »

— Chérubin, suis-moi, une voiture nous attend dans une cour extérieure. Hervan règlera le reste.

Sa voix sèche et glaciale déplut à l'elfe mais qui n'eut d'autre choix que de se relever et d'emboiter le pas à sa chère maîtresse. Un dernier salut à Jenny et il disparut par un passage dérobé. Pendant quelques instants, il arpenta avec le mage les interminables couloirs froids jusqu'à parvenir enfin à cette fameuse cour reculée.

Morgal percevait bien que le palais était en ébullition ; Nilcalar devait sombrer dans une colère noire.

Sans sourciller, Locea le poussa dans la voiture et referma la portière sèchement. Le cocher fouetta les quatre chevaux et le carrosse ne tarda pas à s'extirper de l'enceinte du palais avant que la garde ne verrouille toutes les sorties.

Sur les larges murs de défense, Morgal crut distinguer la silhouette de Dorgon, ses longs voiles dansant dans le vent nocturne. C'était comme si son regard mordoré d'esclave rappelait au fuyard la responsabilité qui reposait entre ses mains : Morgal était le premier elfe à s'échapper d'Atalantë. Il était désormais de son devoir de prévenir Calca des abominations qu'enduraient les siens.

Mais encore fallait-il que le prince retrouve un jour sa terre natale.




Cela faisait maintenant plusieurs heures que la voiture filait dans les interminables avenues sans qu'une quelconque menace ne les rejoigne. Le silence ne s'était brisé depuis le début du voyage mais le vampire pouvait sentir l'animosité de sa compagne depuis les premiers instants.

— Tu viens de provoquer un accident diplomatique, finit par cracher Locea.

— Je suis navré...

— Tu n'étais pas obligé de tout réduire en cendre !

Les oreilles de l'elfe se baissèrent honteusement :

— J'étais trop faible pour tout fouiller...

— Comment veux-tu être un Ilfégirin avec un tel comportement ?! s'écria le mage.

— Et comment pensiez-vous que ça se finirait ?! contra-t-il, le roi a tenté d'abuser de mon état. Je pensais que tu empêcherais un tel accident de m'arriver. De mon côté, jamais je n'aurais laissé quiconque te toucher !

Le visage de Locea se fit brusquement plus conciliant.

— Tu as raison, mon ange, j'aurais dû m'interposer.

— « Oui, bah trop tard. »

— Tout changera entre nous à notre retour au Manoir.

— « Comment ça ? »

— Tu es content ?

— Bien sûr !

Morgal se retint d'écarquiller les yeux, lassé par l'Entité. Comment la tuera-t-il ? Le temps pressait et il devait convoquer Djinévix au plus vite avant que sa sœur n'applique son plan brumeux d'extermination sur les dieux.

Gloire et Déchéance - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant