Chapitre 5

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Maître Erenn s'accouda à sa fenêtre alors que les premières neiges s'abattaient sur l'Aldor. Du haut de sa tour, il parvenait à voir nettement les apprentis s'entrainer dans la cour principale. Malgré les températures fraiches, la cadence d'apprentissage ne ralentissait pas. Bientôt, la fête d'Elen arriverait et comme deux fois par an, tous les elfes de la noblesse devraient se rendre à Elmaril pour le Solstice. Cet évènement mettait fin à leur année d'étude.

Et le directeur d'Ur-Nabal ne manquait pas de se faire des cheveux blancs : le Roi en Blanc exigerait de lui un rapport précis sur la progression de ses deux abominables fils. Certes, leur cas était moins catastrophique, voire peut-être passable mais il n'était pas question de les envoyer au front : ils se feraient pulvériser en moins d'une heure.

Et maître Erenn désespérait sur l'investissement que fournissaient les jumeaux : ils ne pensaient qu'à passer du bon temps depuis ces quelques mois. Pour résumer grossièrement, il mettait un bazar infernal dans l'école surtout lorsqu'ils décidaient de disparaitre ou de provoquer un conflit général. Après tout, bien qu'ils soient d'une fainéantise inégalée, le sang Fëalocen coulait dans leurs veines. On ne pouvait donc pas s'attendre à une attitude pacifique avec eux.

Mais le directeur de l'établissement ne pouvait les renvoyer sous peine de s'attirer les foudres d'Elaglar. Il espérait cependant que ce dernier change d'avis sur la formation de ses fils et ne fasse d'eux qu'uniquement des courtisans et non des guerriers. Car sur ce dernier point, ce n'était plus de son ressort...




Morgal jeta un regard derrière lui et s'assit sur l'herbe verte. Ici, sur les rives extérieures du lac, il ne croiserait pas les importuns qui lui plombaient ses journées. Pour dire vrai, c'était plutôt lui qui leur pourrissait le quotidien mais il ne le reconnaitrait jamais. Et grâce à son caractère joyeux et à son charisme de prince séduisant, la plupart des apprentis l'appréciaient ou l'enviaient. Cela lui simplifiait la tâche comme lui créait des ennemis.

Il releva une mèche à l'arrière du crâne et commença à dessiner dans son carnet : de là où il se trouvait, dans un jardin où les feuilles mortes dansaient dans un balai improvisé, il avait une parfaite vue sur l'Aldor.

Si ces mois passés dans l'école lui avaient donné de nouveaux amis ainsi que des moments inoubliables, il était heureux de retrouver Elmaril pour le Solstice. Avec le temps, son petit frère Arlin avait sûrement dû grandir encore. Par contre il ne désirait pas retrouver ses grands frères. Leurs centres d'intérêts divergeaient du sien ainsi que de celui de son jumeau. Les princes ainés étaient des guerriers parfaits qui ne pensaient qu'à assouvir leur désir de pouvoir.

Morgal n'avait jamais tenu ce genre de discours et encore moins depuis qu'il avait découvert la misère en Aldor. Avec Lalith, accompagné de son frère et de leurs trois autres amis, ils s'étaient investis pour aider les plus démunis. Si son père apprenait qu'il côtoyait des « créatures inférieures », il le punirait sévèrement.

Des pas légers lui firent dresser ses oreilles pointues. Il reconnaissait bien cette démarche maintenant. Lalith arriva dans son dos et serra ses petits bras fins autour de son torse, tout en regardant le dessin.

— Tu as vraiment un don, Morgal.

Il sourit :

— Lorsque j'étais petit, je voulais devenir peintre. Mais je ne suis pas dans la bonne classe sociale pour ça.

— Tu as l'éternité devant toi pour t'accorder ces petits plaisirs.

Morgal hocha la tête, repensant brusquement aux visions de son frère. Depuis leur visite impromptue chez Djinévix, ses cauchemars n'étaient pas revenus. Mais la menace restait présente.

Gloire et Déchéance - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant