Tick... Tick... Tick...
Les aiguilles de la vieille horloge en bois bougeaient lentement, trop lentement au goût d'Yra. Pas qu'elle ait spécialement envie que la soirée commence ; au contraire, elle avait hâte d'en voir la fin.
La jeune femme resserra nerveusement sa cape sombre autour d'elle, savourant la douceur réconfortante du velours sur sa peau. Bientôt, elle devrait s'en défaire, et révéler la robe provocante qu'avait choisie Zibara pour elle. Debout contre un mur tapissé de toiles aux peintures indécentes, elle attendait que les invités arrivent. Les spectres de Hollow Stone brillaient d'une lueur verdâtre qui donnait une allure lugubre au manoir. Ils flottaient, vaporeux, au-dessus du vieux plancher de bois, pâle image des hommes et des femmes qu'ils avaient été de leur vivant. Ils s'affairaient aux derniers préparatifs, esclaves du bon vouloir de la maitresse des lieux.
Yra détourna le regard lorsque l'un d'eux passa près d'elle, mal à l'aise. Elle n'était pas à sa place dans ce genre d'endroit, entourée de magie et de mobilier luxueux. Imposteur, pensa-t-elle en se mordillant la lèvre. Mais elle n'avait pas le choix.
Une partie d'elle se sentait presque coupable d'être là, parée de tissus chatoyants, ses yeux gris cerclés de noir et sa bouche vibrante de rouge. Elle ne s'était pas reconnue, plus tôt, lorsque Zibara en avait eu fini avec elle. La seule chose qui n'était pas passée par une quelconque transformation était son épaisse tignasse noire. « Ça va lui plaire, » avait dit la sorcière. « Ça te donne une allure... exotique. »
"Exotique". C'est ce qu'on aurait dit d'un animal sauvage. Comme si elle ne se sentait pas déjà assez comme une bête de foire au village. Elle passa un pouce sous le rebord de son gant de dentelle, caressant pensivement la tâche brunie en forme de croissant de lune sur son poignet.
Certains humains étaient marqués par la lumière, par le dieu Hélios, leurs dons inoffensifs et bienveillants. D'autres, comme elle, avaient la malédiction d'être marqués d'un don de l'ombre par la déesse Séléné.
Ces dons qui pouvaient altérer l'esprit, entraver le libre arbitre. Ceux qui pouvaient faire s'enflammer un homme de l'intérieur, transmuter son sang en glace, ou encore contrôler ses os. Ces dons qui venaient tout droit des ténèbres. Cette pensée la fit frissonner. Elle n'avait jamais rencontré un autre marqué de l'ombre, et même si son propre don n'était pas aussi terrible que certains, une partie d'elle comprenait la méfiance que les gens avaient envers elle.
Yra savait ce qui se cachait derrière les sourires hypocrites et les regards fuyants auxquels elle faisait face dès qu'elle se promenait avec sa sœur au village. Les chuchotements à son passage étaient à peine discrets.
Pourtant ils n'avaient plus rien à craindre venant d'elle, plus depuis longtemps.
Elle avait beau tenter de faire profil bas au quotidien, elle aurait tout aussi bien pu avoir la marque de Séléné tatouée sur le front. Personne n'avait oublié ce qu'elle avait fait, le récit de ce jour raconté aux enfants par leurs parents comme un conte lugubre de mise en garde. Mise en garde contre la magie, contre les Marqués, contre les immortels. Dans leurs esprits étroits et effrayés, ces trois choses se confondaient.
Les habitants de Bejon étaient majoritairement mortels ; comme on pouvait s'y attendre dans la majorité du territoire à Solis, l'inimitié qu'ils éprouvaient envers les immortels était gravée dans leurs cœurs depuis la naissance. Certains par peur, d'autres par envie. Naitre dans un monde imprégné de magie sans en posséder soi-même pouvait en aliéner beaucoup. Savoir que la majorité avait une espérance de vie de plusieurs siècles en étant soi-même limitée à une vie si courte qu'elle ne semblait pas plus importante qu'un grain de poussière dans l'univers... L'amertume et l'aigreur les étouffaient.
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Un Coeur d'Ombres et de Lumière
Fantasy« Faire confiance à un Immortel c'est comme tendre ton cou à un lion; tu peux espérer qu'il ne fera que le renifler, mais tous ses instincts lui hurlent d'y planter ses crocs. » Yra déteste la magie presque autant qu'elle se déteste elle-même. Marqu...