« Installez-vous à votre aise. » Deric indiqua du bras le séjour.
La décoration était sobre, presque inexistante ; comme si la maison était à peine habitée. Aucun vase de rare provenance, aucun tableau du genre qui habillaient généralement ce type de résidence. Yra regarda autour d'elle, essayant d'absorber le moindre détail. Elle retint un froncement de nez à l'odeur de renfermé qui flottait dans l'air. Une cheminée habillait une grande partie du mur face à l'entrée de la salle de séjour, son antre froid. Elle nota les tisonniers qui y étaient appuyés, brillant comme s'ils n'avaient jamais été utilisés. Un grand canapé en velours gris capitonné occupait le centre de la pièce, fauteuils assortis à ses flans. Ses accoudoirs roulés lui firent penser aux brioches que l'apprenti de Mme Gilda, la propriétaire de l'unique boulangerie du village, glissait parfois à Viola discrètement lorsque sa patronne avait le dos tourné.
Où Deric pouvait-il bien cacher la bague ?
Des particules de poussières s'envolèrent lorsqu'elle et Miranda prirent place sur le canapé. Yra se souvint de ce que la courtisane avait dit plus tôt — qu'elle n'avait pas vu l'homme depuis des mois. Peut-être n'était-il pas d'ici ? Elle était loin de connaître tout le monde en ville, mais elle aurait probablement entendu parler d'un personnage tel que lui s'il avait été aperçu régulièrement. Les commères qui trainaient sur la place du marché auraient fait passer le mot.
« Un dernier verre ? » offrit leur hôte en attrapant une bouteille d'eau-de-vie du chariot-bar accoté au mur. Il claqua des doigts et un feu embrasa la cheminée, éclairant la pièce de ses lueurs chaudes.
Yra cligna des yeux, surprise, puis se souvint que ce genre de maisons, dans cette partie de la ville, étaient souvent pourvues d'enchantements pour faciliter la vie des habitants. Ce privilège n'était pas réservé à Hollow Stone, bien que le domaine soit particulièrement bien pourvu en la matière grâce à sa propriétaire. L'or achetait de tout ; même la magie.
« Avec plaisir, » miaula Miranda.
Yra lui jeta un regard sous ses cils. « Ça ira pour moi, Lord Deric. Je crois avoir un peu trop abusé des bonnes choses pour ce soir. » Elle gloussa pour faire bonne mesure.
Il lui suffisait d'imiter l'attitude mielleuse de la courtisane pour paraitre crédible. Au final, ne pas s'être retrouvée seule avec Deric avait été une bénédiction.
Il tendit son verre à Miranda. « Les bonnes choses sont faites pour qu'on abuse d'elles. »
Il eut un sourire presque animal à son encontre, et un nœud se forma dans sa gorge. Quelque chose la mettait incroyablement mal à l'aise chez cet homme. Il avait une allure soignée, les cheveux tirés à quatre épingles, pas un froissement sur son habit — tout du noble typique. Mais elle ne pouvait se débarrasser du sentiment qu'il y avait autre chose sous cette surface.
Il avait toujours un verre vide à la main. « Vous ne prenez rien ? » demanda-t-elle.
Il sourit de nouveau, et Miranda se raidit à ses côtés. Yra la regarda sans comprendre.
« Si... » Sa voix était langoureuse, roulant sur sa langue. Il tendit une main vers la jeune femme rousse et la tira sur ses pieds. « Je prends toujours quelque chose. »
Il la dirigea vers le feu, et attrapa un objet sur le manteau de la cheminée.
Une dague.
La pointe était recourbée, comme la langue d'un serpent. Le reflet des flammes de la cheminée dansait sur la surface du manche au métal doré.
Il lui fit signe d'approcher, elle aussi, ce qu'elle fit d'un pas hésitant. Elle prit le verre vide qu'il lui tendait. Son ventre se noua d'appréhension, et il sembla savourer la lueur d'hésitation qui dansait dans son regard. Il savourait son incertitude avec une délectation malsaine, elle le sentait, le voyait dans son regard.
Deric attrapa fermement le poignet de Miranda et remonta le tissu vaporeux de sa manche. Son bras laiteux apparut, son teint uniforme perturbé par des marques, certaines fines et d'autres plus grossières, d'une couleur encore plus pâle que sa peau. Des cicatrices.
Yra pria silencieusement Séléné que le choc qui traversa son visage soit dissimulé par son masque.
Il caressa sa peau nue de la pointe de sa dague. « Miranda a toujours été ma chose favorite. »
Il leva un sourcil dans sa direction, comme s'il attendait qu'elle comprenne quelque chose. Quand elle resta plantée là sans bouger, il lui reprit le verre des mains d'un geste impatient. Miranda resta le bras en l'air, immobile telle une statue de cire.
Yra chercha dans son regard quelconque signe de détresse, mais n'en trouva aucun. C'était le regard de quelqu'un qui savait à quoi s'attendre, le regard d'un chiot qu'on avait battu tellement de fois qu'il s'était résigné à son sort. Le regard d'une femme qui avait vécu ce genre d'horreur, déjà — encore et encore. Et qui n'avait plus la force de ressentir.
Il entailla son bras lentement, profondément, le long d'une veine bleuâtre. Le sang jaillit, un contraste macabre sur sa chair pâle, et coula abondamment dans le verre vide.
Puis, l'homme leva le bras de Miranda à sa bouche, et passa sa langue à plat le long de la plaie, les yeux fermés. Son gémissement guttural résonna dans la pièce.
Yra détourna le regard et croisa les bras, ses propres doigts s'enfonçant dans ses côtes. La bile lui monta à la gorge. Par Séléné, dans quoi s'était-elle embarquée ? Zibara ne lui avait jamais parlé de ce genre de chose en lui décrivant Lord Deric. Elle avait seulement insinué qu'il ne serait pas une cible facile.
Mais la Sorcière pensait qu'elle avait son don pour se défendre ; qu'elle pourrait murmurer ses désirs et qu'il lui obéirait au doigt et à l'œil.
Deric lui attrapa le menton brusquement, et se pencha sur son visage, les lèvres encore tâchées de sang. D'instinct, elle eut un mouvement de recul, le nez froncé par une grimace de dégout.
Il s'arrêta net, un éclat de colère dans le regard. Sa main glissa sur sa gorge, l'enserrant légèrement de ses doigts froids.
« Ton nom ? »
La question la prit au dépourvu. « G-Georgina... » Elle balbutia le premier nom qui lui vint en tête, celui d'une amie de sa sœur.
Sa main glissa encore, son regard noir quittant finalement le sien pour descendre vers le creux de son cou, ses doigts laissant une trainée glacée sur sa peau. Il examina son pendentif, caressa la surface lisse du cœur argenté avec son pouce.
« Qu'est-ce que c'est que ça ? »
Sa bouche s'assécha, ses yeux alertes. « Un bijou ? » L'incertitude fit trembler sa voix.
Un claquement de langue agacé. « Oui, je vois bien que c'est un bijou. Mais qu'est-ce que c'est ? »
Elle ne comprenait pas sa question. Les mots trébuchèrent sur sa langue. « J-je ne sais pas. C'est un — un cœur. Un cadeau. »
Les yeux de Deric revinrent vers les siens.
« D'un homme ? »
Elle acquiesça. Ce n'était pas un mensonge, pas tout à fait.
Il renifla avec dédain, puis —
Snap
« Ce soir, tu m'appartiens. » Sa bouche ensanglantée se pressa contre son oreille alors qu'il fourrait le pendentif en argent dans sa poche, le nez dur de son masque démoniaque écorchant son crâne à travers ses cheveux.
Elle serra les paupières, le souffle coupé.
Il ajouta, sa voix âpre emprunte d'une cruauté qui la fit frémir, « Tu ne réchaufferas pas mon lit parée des bijoux d'un autre homme. »
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Un Coeur d'Ombres et de Lumière
Fantasy« Faire confiance à un Immortel c'est comme tendre ton cou à un lion; tu peux espérer qu'il ne fera que le renifler, mais tous ses instincts lui hurlent d'y planter ses crocs. » Yra déteste la magie presque autant qu'elle se déteste elle-même. Marqu...