Chapitre 29 | Quand on parle du loup

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Les yeux fixés sur un coin sombre de la pièce, Yra se demandait si sa vie aurait été plus simple si elle avait été une araignée. L'arachnide avait l'air tellement serein, en train de tisser sa toile comme s'il n'avait pas le moindre souci du monde, alors que le sien, de monde, avait été complètement chamboulé.

Son regard fusa vers sa sœur lorsqu'elle geint faiblement dans son sommeil. Peut-être que l'araignée avait une petite sœur à protéger, elle aussi. Peut-être qu'elle avait eu une vie difficile, remplie de souci, et que ce dont Yra était témoin maintenant n'était que le calme après la tempête dont l'araignée était ressortie triomphante. Peut-être qu'elle aussi, après avoir traversé tout ça, pourrait retisser la toile de leur vie, à Viola et elle.

Mais comment traverser une tempête alors que chaque goutte de pluie semblait la noyer davantage ?

Le visage de Viola était encore gonflé. Elle avait tenté de contenir ses larmes jusqu'à ce qu'elles se rendent à l'auberge, mais une fois seules dans la chambre de Ian, ses pleurs auraient pu noyer un hippocampe. Elle s'était endormie peu de temps après, épuisée par ses propres sanglots.

Yra, elle, n'avait pas réussi à fermer les yeux — ou du moins, c'était l'impression qu'elle avait. Une seconde il avait fait nuit noire, et celle d'après les rayons du soleil caressait ses paupières, donc elle avait s'assoupir à un moment.

Viola lui avait demandé de la réveiller à la première heure, mais Yra ne put se résoudre à lui retirer le peu de répit que le sommeil lui offrait. Elle aurait tant aimé la protéger du cauchemar qui s'était déroulé hier soir, pouvoir effacer ces images de l'esprit de Viola. De son propre esprit, à elle aussi.

Elle avait passé la nuit à rejouer la scène dans sa tête. La brute, les gants, les hurlements de Gina. Les cris de Viola, étouffés par sa main. Son esprit était hanté par toutes les choses qu'elle aurait pu faire à ce moment-là — au lieu de rester cachée comme une lâche.

Elle avait agi par instinct — par peur —, et parce qu'elle savait qu'elle n'aurait rien pu faire contre la brute de Deric. Parce que risquer la vie de sa sœur avait été au-dessus de ses forces, même en sachant ce qui risquait d'arriver à Gina.

Même en sachant que sa sœur porterait toujours une rancœur envers elle pour ça — qu'elle l'admette ou pas.

« Tu aurais pu utiliser ton don. » La voix enrouée de sa sœur la fit sursauter.

Viola avait parlé sans ouvrir les yeux, et avait tiré une flèche droit dans la pensée qu'Yra avait essayé d'éviter toute la nuit.

Son don.

Pourquoi n'avait-elle pas tenté d'utiliser son don ?

« Je ne savais pas s'il fonctionnerait sur ce... sur lui. »

Avec sa stature imposante, la pâleur de sa peau et ses yeux rouges, la brute semblait tout sauf humain. Même si son don avait été fonctionnel, il n'affectait pas toutes les créatures de la même façon.

« Tu aurais pu essayer. »

Elle aurait pu, mais elle n'avait pas eu le courage de prendre ce risque.

Elle allait réparer ça. Elle allait trouver Gina, et la ramener saine et sauve, en sécurité. Il n'y aurait aucune autre mort sur sa conscience.

Le visage de son père se mêla à celui de Miranda dans son esprit, et elle serra les paupières pour effacer l'image douloureuse, un souffle las lui échappant.

« Comment on va faire ? » continua Viola face à son silence.

« Je ne sais pas, » répondit Yra.

Comment retrouver Gina ? Tout ce qu'elles savaient, c'est que Deric l'avait fait emmener à Vesper. Mais exactement ? Le territoire des Vampyr était non seulement vaste, mais Yra allait en plus devoir traverser la Mer de Sang pour y arriver. Seule.

Car quoi que Viola dise, il était hors de question qu'Yra la laisse mettre un seul pied dans un endroit aussi dangereux. Les mortels assez courageux — ou assez fous — pour se rendre à Vesper finissaient le plus souvent en casse-croûte pour buveur de sang.

« C'est rassurant. » Viola s'assit sur le lit étroit, forçant Yra à se redresser par la même occasion.

Son regard glissa vers la fenêtre, dont elles avaient oublié de fermer les volets hier soir, et se plissa face aux rayons vifs du soleil. « Ian ne t'a rien dit ? »

« Je ne lui ai pas encore parlé. »

Ian leur avait laissé sa chambre, après qu'elles furent arrivées en trombe hier soir. Yra l'avait pris à part pour lui expliquer la situation — et pour lui demander son aide. Ian et le reste de la troupe devaient partir pour la capitale bientôt, et s'il fallait se mettre à genoux pour qu'ils acceptent de faire un détour par Wickross — la ville côtière la plus près de Vesper —, elle était prête à le faire. Ian lui avait promis de faire son maximum pour convaincre tout le monde, et de lui apporter leur réponse au matin. Malgré la façon dont ils s'étaient quittés hier, il n'avait pas hésité à lui apporter son aide, et elle ne pouvait ignorer la façon dont son cœur se réchauffait à l'idée de pouvoir compter sur quelqu'un.

« Essaye de dormir encore un peu, » lança Yra à Viola en se levant. Elle s'étira en bâillant bruyamment. Ses muscles étaient endoloris après avoir passé la nuit à tenter de tenir à deux dans un lit une place. « Je vais voir si je peux le trouver. »

« Je ne veux pas dormir. Je... je ne peux pas. »

Yra lui adressa hochement de tête compréhensif avant de sortir de la chambre et de refermer la porte derrière elle.

À l'autre bout du couloir se trouvait la chambre de Melvin, où Ian avait passé la nuit. Elle toqua timidement à la porte, qui s'ouvrit immédiatement, révélant le vieil homme et sa tignasse grise éternellement débraillée.

« Bonjour, » souffla-t-elle.

Il avait l'air d'avoir passé une mauvaise nuit. Il marmonna une salutation et se poussa pour la laisser entrer, une main passant sur son visage fatigué. Dès qu'elle eût posé un pied dans la chambre, elle réalisa que Grace et Clyde étaient là, eux aussi, assis avec Ian autour d'une petite table en bois sous la fenêtre. Elle combattit l'envie de tourner les talons qui la prit aux tripes.

Clyde lui jeta son regard habituel — celui qui lui faisait comprendre qu'elle n'était rien de plus qu'un parasite sur son chemin. « Quand on parle du loup. »

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Ça m'a fait drôle de pas poster de chapitre mercredi dernier, mais j'ai recommencé à poster sur Youtube, et ça c'est vraiment cool !

Un petit vote et un petit commentaire fait toujours plaisir, alors si tu as aimé (ou pas, hein) n'hésite pas à me le faire savoir.

See you soon !

Un Coeur d'Ombres et de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant