Chapitre 18 | Ta fille

396 45 4
                                    

« Yrabel. »

La voix de sa mère était glaciale — tellement différente de celle qu'elle utilisait envers Viola.

Peut-être Heida était-elle plus affectueuse avec sa sœur parce que celle-ci lui reprochait moins toutes ses failles — ou peut-être simplement car la jeune fille était son portrait craché. Les longs cheveux blonds de la femme encadraient son visage fin sous la capuche usée de sa cape ; seules les marques du temps — et le bleu de ses yeux — distinguaient son visage de celui de sa plus jeune fille.

« Qu'est-ce que tu fais ici ? » fit Yra en croisant les bras. « Encore à dépenser tout notre or ? »

Elle ne prit pas la peine de voiler l'accusation sous sa question.

Heida renifla. « Je dépenserai mon or comme il me plaira. »

« Eugène t'envoie cet or pour prendre soin de nous. Tu crois qu'il continuerait à payer s'il apprenait que la veuve de son frère en dilapide la moindre pièce au lieu de nourrir ses nièces ? »

Des éclairs dansèrent dans les yeux de sa mère, et les rides au coin de sa bouche se creusèrent davantage.

« Comment oses-tu — »

« Et comme si ça ne te suffisait pas, » continua Yra en avançant d'un pas, la colère montant dans sa voix. « Il a fallu que tu ailles t'embourber dans les affaires d'une Sorcière. »

Heida ouvrit la bouche, mais Yra ne lui laissa pas le temps de répliquer, encore sous tension de la nouvelle du départ de Ian.

« Tu sais qu'elle a menacé de s'en prendre à Viola ? Est-ce que tu as seulement conscience de ce qui aurait pu lui arriver ? »

« Laisse ma fille en dehors de ça, » cracha Heida, du venin dans sa voix.

Et quelque part, tout au fond du cœur d'Yra, une petite fissure se forma. Mais elle leva le menton, et continua d'affronter sa mère.

« Avec plaisir. Quand tu la laisseras toi-même en dehors de tes histoires douteuses. »

Heida eut la décence de paraître gênée.

« Je vais rembourser Zibara. Il ne va rien arriver à Viola. »

« Ne te donne pas cette peine, je m'en suis déjà occupée. »

Les yeux de sa mère s'écarquillèrent légèrement, supposant savoir ce qu'impliquaient les propos de sa fille.

« Tu as... » La femme avala durement sa salive. « Yrabel, tu n'as quand même pas — »

« Non, » la coupa sèchement Yra. « Elle m'a proposé un autre arrangement. »

Heida plissa les yeux. « Quel type d'arrangement ? »

« N'emprunte plus jamais d'or, tu entends ? Débrouille-toi autrement, » ordonna Yra, ignorant sa question.

Un ricanement incrédule passa les lèvres de sa mère. « Ou sinon quoi ? »

« Ou sinon, » siffla Yra entre ses dents serrées, ses ongles creusant la chair tendre de ses paumes. « Je m'occuperai personnellement de protéger Viola de tes histoires. On partira toutes les deux, et tu ne reverras plus jamais ta fille. »

La menace était proférée sous le coup des nerfs, mais elle fit mouche.

Heida bondit, la furie déformant son visage.

« De quel droit— tu ne peux pas— je ne te laisserai pas— » s'étouffa-t-elle, le visage rouge de nerf.

« Tu verras bien si je ne peux pas, » la défia Yra.

Une satisfaction malsaine la prit d'avoir réussi à toucher la corde sensible de sa mère. Les deux femmes s'affrontèrent du regard pour ce qui parut durer une éternité.

« Rentre à la maison, Yrabel, » dit finalement Heida, un semblant d'autorité dans la voix. « Il est tard pour trainer dehors. »

« Alors qu'est-ce que tu fais à trainer ici ? » Yra regarda autour d'elle. L'auberge était déserte ; il ne restait que le propriétaire, qui ramassait les chaises sur les tables en leur jetant des coups d'œil curieux.

La bouche de sa mère forma une ligne fine.

« Rien qui ne te concerne. » Elle contourna sa fille et commença à monter les escaliers. « Rentre à la maison. Je n'aime pas que Viola soit seule. »

Yra voulut répliquer que si elle ne voulait pas que Viola soit seule, elle n'avait qu'à ne pas passer son temps hors de la maison à faire Séléné savait quoi — mais sa mère avait déjà disparue à l'étage.

Elle se mordilla la lèvre, hésitante, puis monta discrètement à sa suite. Elle atteint le sommet des escaliers juste à temps pour voir sa mère entrer dans une chambre. Yra fronça les sourcils. Qu'est-ce que Heida pouvait bien cacher ? Elle aurait pu sauter à la conclusion la plus évidente — que sa mère était venue rendre visite à un homme —, mais son instinct lui criait qu'il s'agissait d'autre chose.

Yra attendit quelques minutes, puis s'approcha sur la pointe des pieds pour coller son oreille contre la porte. Une voix masculine et nasillarde lui parvint.

« Il dit qu'il est fier de vous. Fier de tout ce que vous faites pour vos filles. »

La confusion traversa le visage d'Yra. De qui parlaient-ils ?

« Vraiment ? » La voix de sa mère était douce, pleine d'émotions. Yra ne se souvenait pas de la dernière fois qu'elle l'avait entendue ainsi.

« Hm hm, » acquiesça l'homme. « Edgar est très heureux que vous ayez trouvé le moyen de communiquer avec lui. Il déplore que vous ne le fassiez pas plus souvent. Vous lui manquez beaucoup, ma chère Heida. »

Yra sursauta en entendant le nom de son père. Sa gorge se serra alors que les pièces du puzzle s'assemblaient dans son esprit.

« Oh moi aussi — moi aussi il me manque. Sans lui, je suis perdue. » Un sanglot. « Je vais me procurer plus d'or bientôt, et je ferai en sorte de venir plus souvent. »

« Edgar est heureux de l'entendre. » l'homme avait un sourire dans la voix.

Heida soupira avec mélancolie.

« Je donnerai tant de choses pour pouvoir le revoir. »

Son père... se pouvait-il qu'il soit vraiment là ? D'une main tremblante, elle tenta d'ouvrir la porte — fermée à clé. Ses coups empressés résonnèrent dans le couloir vide.

La porte s'ouvrit sur un homme au visage anguleux, mais arrondi ; sa tête semblait presque trop grosse pour son corps efflanqué. Il avait un sourire immense qui lui mangeait la moitié du visage alors même qu'il gardait les lèvres scellées. Quelque chose d'énigmatique s'en dégageait — quelque chose qui la mit immédiatement mal à l'aise.

« Vous êtes là, » constata l'homme d'un ton assuré.

Comme s'il avait attendu sa venue.

________________________

Que cache Heida et qui est cet homme ?

Ah là là, j'adore écrire cette histoire, surtout en sachant où tout ça va mener.

Merci de toujours me suivre dans cette aventure !

P.-S. : N'oublie pas de voter si tu as aimé, et de me laisser un petit commentaire pour me dire ce que t'en penses.

Un Coeur d'Ombres et de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant