Chapitre 26 | Seulement pour le rôle

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Elle descendit de scène avant qu'il ne puisse articuler un mot de plus, passant près du reste de la troupe sans les regarder. Melvin tenta de lui lancer une remarque taquine, mais Yra l'ignora. Il était plus facile de contrôler la déception qui enserrait son cœur si elle gardait les yeux fixés droit devant, sur un point imaginaire.

"Je ne pouvais pas partir sans faire ça." Parce qu'il allait partir, bien sûr. Parce que ce baiser ne changeait rien ; parce qu'elle ne changeait rien. Elle toucha ses lèvres gonflées du bout des doigts ; son premier baiser. Son premier vrai baiser. Le premier qui n'avait pas été sous couvert d'un rôle pour la pièce — ou du moins, c'est ce qu'elle avait cru sur le moment.

Et il ne signifiait rien.

Elle chercha sa sœur du regard, et la trouva debout près de l'entrée. Sa robe fleurie sous sa cape mauve tendre et le chapeau en osier qu'elle tenait en main contrastaient avec l'ambiance de l'établissement ; l'endroit accueillait généralement une clientèle moins élégamment vêtue. En se frayant un chemin jusqu'à elle, Yra surprit des bribes de conversations.

« C'est pas elle, la fille de Heida ? » demanda une femme joufflue à son mari, le doigt vulgairement pointé vers Yra alors qu'elle passait près d'eux.

Elle ne se donnait même pas la peine d'être discrète.

« Non, » ricana l'homme d'une voix bourrue. « Tu crois que si cette donzelle était marquée ce gars lui aurait gobé la bouche comme ça ? Avec sa dégaine à ce gamin, crois-moi qu'il a pas les tripes de se manger une malédiction ! »

Yra ignora l'irritation qui se frayait un chemin en elle, et se dirigea vers sa sœur.

« Tu m'avais caché ça, » la salua Viola, un sourire espiègle aux lèvres.

« Caché quoi ? »

« Toi et Ian. » Elle frotta le bout de ses deux index ensemble en imitant des bruits de baisers avec sa bouche.

Combattant la chaleur qui lui montait aux joues, Yra leva les yeux au ciel.

« C'était seulement pour le rôle. »

Viola lui lança un regard qui voulait tout dire.

« Gina n'est pas avec toi ? » fit Yra pour changer de sujet.

« Elle a dû rentrer, » grimaça Viola. « C'est son père, tu sais. Il n'aime pas qu'elle reste dehors trop tard. »

« Elle à dix-sept ans, pas douze. Il devrait la laisser vivre un peu, la pauvre. »

« Je ne sais pas. » Le regard de Viola se perdit sur le sol. « Je crois qu'on a du mal à comprendre, parce que maman n'a jamais été aussi protectrice envers nous. Ce ne serait peut-être pas si mal, d'avoir quelqu'un qui se soucie de nous comme ça. »

Sentant son cœur fondre aux paroles vulnérables de sa sœur, Yra lui sourit tendrement et la serra dans ses bras. « Moi, je me soucie de toi, petit pigeon. »

Viola gloussa doucement en lui rendant son étreinte. Yra déposa un baiser sur le sommet de sa tête blonde, puis lui demanda de l'attendre le temps qu'elle aille chercher les pièces qu'elle avait gagnées ce soir.

Elle contourna les tables et se dirigea vers la sortie arrière, pensant que tout le monde était probablement à la caravane. Mais à peine avait-elle fait quelques pas dans le couloir sombre menant à la porte qu'elle s'arrêta net. Ian était là, les bras croisés et la tête baissée, une jambe appuyée sur le mur derrière lui. Elle hésita à tourner les talons, mais il l'aperçut avant qu'elle ne puisse se décider.

Un Coeur d'Ombres et de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant