Chapitre 25 | Front contre front

374 51 11
                                    

« De quel mensonge tu parles ? » dit Yra en croisant elle aussi les bras, mal à l'aise.

« Tu me prends pour une idiote ? » Viola pointa l'enveloppe du doigt. « Un Jynx l'a déposée à la maison, tout à l'heure. Cette lettre vient de Zibara, je reconnais le sceau. »

Yra hésita, « Peut-être. »

Le regard de Viola s'affaissa. « S'il te plait, ne me mens pas. Ne deviens pas comme maman. »

Les mots de sa sœur furent comme une claque prise en pleine tête. Plutôt mourir que de devenir comme leur mère ; plutôt mourir que de blesser Viola à ce point.

« D'accord, » souffla Yra. « Tu sais que maman devait de l'or à Zibara ? »

Viola hocha la tête. Elle se souvenait encore des hommes envoyés par la Sorcière pour collecter la dette — leur mère avait été absente, sans surprise. Tout ce qu'Yra avait pu faire ce jour-là pour éviter qu'ils ne saccagent la maison à la recherche d'objets de valeur avait été de les supplier, pratiquement à genoux, de leur laisser plus de temps. La peur avait paralysé Viola, qui s'était blâmée durant des jours après l'incident de ne pas avoir réagi. Les hommes avaient promis de revenir le lendemain, et les avaient prévenues qu'elles feraient mieux d'avoir l'or à leur retour.

Mais ils n'étaient jamais revenus.

Parce que le soir même, Yra s'était rendue à Hollow Stone, déterminée à faire ce qu'il faudrait pour protéger sa petite sœur.

Yra prit Viola par le bras et l'attira plus loin — au cas où les oreilles de Grace eurent traîné par là. Le nez de sa sœur se fronça à l'odeur des poubelles desquelles elles s'étaient rapprochées.

Yra lui raconta tout : le marché que Zibara lui avait proposé, la soirée à Hollow Stone, Deric qui s'était avéré être un Vampyr, la "brute" étrange qui travaillait pour lui, la mort de Miranda —

« Attends, attends. Un Vampyr t'a attaqué ? Et tu as réussi à t'échapper ? » la coupa Viola. Elle secoua la tête, un mélange de soulagement et d'incrédulité placardé sur le visage. « Comment ? »

Yra tritura son pendentif en pinçant les lèvres. Elle ne savait pas comment Viola allait réagir, mais elle ne voulait plus lui mentir.

« Mon don... Il est revenu. »

Viola écarquilla les yeux. « Ton don ? »

« Oui. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment. » Yra avala durement en passant une main frustrée dans ses cheveux bouclés. « Mais c'est uniquement grâce à ça que je suis en vie aujourd'hui. »

Viola prit un moment pour digérer l'information.

« Pourquoi tu ne m'as rien dit ? »

Yra haussa les épaules, à court de mots.

« Ton don... il fonctionne comme avant ? Tu as réessayé de — »

« Non, » l'interrompit Yra, un frisson la parcourant à cette idée. « Je ne veux pas. »

Le regard de Viola s'adoucit, et Yra détourna le sien, gênée de parler d'un sujet qui la faisait se sentir si vulnérable. C'est ma sœur, se rassura-t-elle mentalement, je peux lui faire confiance.

Yra s'apprêtait à continuer le récit de sa soirée chez Deric — à lui parler du journal qu'elle avait dérobé —, quand Melvin ouvrit la porte menant à l'auberge derrière elles et râla d'une voix forte que le spectacle avait commencé. Grace sortit prestement de la caravane et manqua de trébucher en courant rejoindre Melvin, confirmant à Yra qu'elle devait avoir eu l'oreille collée à la porte dans l'espoir de capturer des bribes de sa conversation avec Viola. Le vieil homme jeta un regard à Yra, qui hocha la tête pour lui indiquer qu'elle arrivait, puis referma la porte derrière lui.

« Je te raconterai tout après, » promit Yra. L'air franc de Viola semblait lui dire qu'elle n'aurait pas le choix de toute manière. Elle rassura sa sœur d'une caresse sur le bras, avant d'aller retrouver les autres.

Ian et Clyde étaient déjà sur scène, en train de jouer avec humour et sarcasme le rôle des deux frères ennemis à la perfection. Melvin, Grace et elle-même étaient serrés derrière le paravent que le patron avait installé à côté de la petite scène — afin de cacher au public les personnages à venir. Yra jeta un coup d'œil discret à la salle baignée d'une lumière tamisée.

Les clients étaient installés aux tables et mangeaient et buvaient en riant bruyamment aux répliques mordantes des deux garçons. Viola était là, dans un coin un peu sombre, Gina assise à ses côtés. Gina se pencha vers son amie, un sourire aux lèvres, et lui chuchota quelque chose au creux de l'oreille. Viola tourna brusquement la tête vers elle, manquant de faire tomber le chapeau en osier qui la coiffait, et dévisagea Gina d'un regard pétillant, les joues rosies.

Quelqu'un donna un coup de coude à Yra pour attirer son attention — un peu plus fort que nécessaire — et elle se retourna pour trouver Clyde qui lui fit comprendre d'un signe de tête que son personnage devait intervenir. Elle posa sa besace dans un recoin à l'abri des regards, et monta rejoindre Ian. Le rôle de l'amoureuse éperdue était devenu comme une seconde nature pour elle, les gestes séducteurs et les paroles mielleuses lui venant aussi facilement que si elle avait réellement été une des courtisanes de Zibara. Le souvenir de la Sorcière lui arracha un frisson qu'elle tenta de réprimer, et elle fit de son mieux pour garder son esprit clair — loin des Immortels, loin de Deric, loin de ce que la lettre signifiait.

Les scènes et les actes s'enchaînèrent, et arriva finalement le dernier — et seul — baiser entre son personnage et celui de Ian.

Sa gorge se serra de nervosité, et son cœur battait si fort qu'elle pouvait presque l'entendre. Elle se demanda si Ian pouvait l'entendre, lui aussi.

Il se pencha sur elle, plus beau que jamais dans son costume de prince déchu, et, alors qu'elle fermait les yeux, il posa doucement ses lèvres sur les siennes.

Yra compta mentalement jusqu'à cinq — juste assez longtemps pour donner de la crédibilité au baiser —, puis, se refusant à savourer l'instant, elle se détacha de Ian sous les applaudissements du public. À peine s'était-elle éloignée d'un pas que Ian la rattrapa par le coude et l'attira à lui, un bras autour de sa taille. La respiration d'Yra se fit courte ; collée contre son torse, elle plongea son regard interrogateur dans le sien.

Sans lui laisser plus de temps pour réagir, Ian plaqua sa bouche sur la sienne, l'embrassant comme il ne l'avait jamais fait jusqu'à maintenant ; comme si ses baisers lui étaient aussi indispensables que l'air pour respirer. Un court instant de choc la paralysa, mais la main de Ian sur sa joue la sortit de sa stupeur. Passant les bras autour de son cou, elle se laissa aller au baiser, une douce chaleur se répandant dans sa poitrine. Un frisson dansa à l'arrière de sa tête.

Au loin, elle entendit Grace lâcher une exclamation vulgaire, rapidement étouffée par les sifflements et les applaudissements du public, Melvin remerciant les gens avec allégresse au tintement des pièces qu'ils laissaient tomber dans son chapeau lors de son passage entre les tables. À cet instant, il n'existait que Ian et elle — que sa bouche sur la sienne, et les papillons qui chatouillaient le creux de son ventre.

Ian détacha finalement ses lèvres des siennes, son souffle lourd et chaud. Front contre front, nez contre nez, il chuchota, « Je ne pouvais pas partir sans faire ça. »

La fragile bulle de bonheur dans laquelle elle se trouvait éclata brusquement.

Les lèvres serrées en une ligne fine, Yra le repoussa, et dit sèchement, « Contente que tu sois satisfait. »

________________________

Si tu as lu jusque-là, met un papillon en commentaire 🦋

Vote si tu as aimé ce chapitre, comme toujours, et n'oublie pas de me laisser tes impressions si tu as un moment ! Chaque commentaire, chaque critique, m'aide à rendre l'histoire encore meilleure.

See you soon pour la suite.

Un Coeur d'Ombres et de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant