Chapitre 3 | Ce n'est pas comme ça qu'on parle aux gens

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L'insulte résonna et fit taire les conversations autour d'eux. Des regards curieux se lançaient dans leur direction. Peu troublée, Yra laissa tomber sa main, toute trace de contrition disparue. Un sourire en coin étira sa bouche.

« Tsk Tsk, » fit-elle en remuant un doigt juste sous son nez. « Ce n'est pas comme ça qu'on parle aux gens. »

Des yeux écarquillés, puis un froncement de sourcil animèrent le visage froid de l'homme.

« Les gens n'ont pas pour habitude de ruiner des costumes m'ayant coûté plus de huit-cents Marks d'or. »

Mince. Elle n'avait pas pensé à ça. Les nobles étaient souvent les plus près de leurs sous.

« Vous vous en remettrez. » dit-elle, le menton en l'air, priant la déesse qu'il ne lui demande pas un remboursement.

Un ricanement sceptique. « Et qu'est-ce que vous comptez faire, mademoiselle, pour que je m'en remette ? »

Son regard était maintenant allumé d'intérêt. Son impertinence semblait presque lui plaire.

« Je vous aurais bien proposé réparation en nature, mais vous n'êtes pas mon genre. » Elle lui fourra son verre dans les mains et tourna les talons, balançant exagérément des hanches.

Elle se dirigea vers la terrasse qui donnait sur l'arrière du domaine, et jeta un regard par-dessus son épaule juste avant de passer les portes vitrées.

Lord Deric la dévorait des yeux.

***

La morsure du bêton froid sous ses pieds nus lui envoya un frisson tout le long du corps, et elle regretta de ne pas avoir sa cape avec elle. L'immense terrasse était déserte, les convives préférant visiblement la chaleur intérieure. Elle prit une grande bouffée d'air marin, en évitant de regarder le bas de la falaise raide sur laquelle était perchée la terrasse et les vagues agressives qui s'y écrasaient. L'odeur salé de l'océan lui emplissait les poumons, les nettoyant de celle, lourde de tabac et de boiserie, qui régnait dans le manoir.

Debout contre le garde-corps en pierres grises, elle attendait depuis une quinzaine de minutes que ce satané Lord vienne la poursuivre. « Il aime chasser » avait dit Zibara. Mais bien sûr. Elle avait probablement écorché son égo surdimensionné, et il n'osait pas venir vers elle.

Elle n'avait plus de temps à perdre. D'un pas décidé, Yra retourna à l'intérieur, et chercha Lord Deric du regard.

Il n'était pas là.

« Hey, » Elle attrapa par le bras une des courtisanes qui minaudait près de lui quelques minutes auparavant, celle avec la robe moulante. « Tu sais où est passé l'homme avec qui tu discutais plus tôt ? »

La femme la regarda de travers et se défit de sa prise brusquement. « Lord Deric est parti avec Miranda. »

« Miranda ? » répéta-t-elle, incrédule. Le sang lui monta à la tête. Elle avait raté sa chance. Par Séléné, Zibara allait la tuer. Si elle ne lui ramenait pas cette bague -

« Ne m'en parle pas. » La courtisane renifla, dégoulinante de mépris. « Je passe des heures à me torturer avec un corset pour que cette garce mal habillée remporte le gros lot. »

Mais Yra ne l'écoutait déjà plus. Elle se rua dehors, ouvrant brusquement les lourdes portes en bois, et s'arrêta au sommet des marches, à bout de souffle. La cours avant était encombrées par les carrosses, tous plus élégants et luxueux les uns que les autres, garés le long du demi-arc de cercle pavé qui entourait l'immense fontaine de marbre blanc en son centre. La lune éclairait faiblement les alentours, et deux spectres à la lueur verdâtre se tenaient au bas des escaliers, gardiens involontaires des lieux.

Plus loin, presque au bout de l'allée, elle repéra la chevelure rousse de la femme qu'elle avait vu plus tôt, à côté d'une silhouette masculine. Elle s'élança, descendant les escaliers aussi rapidement qu'elle le put avec sa robe serrée, et se mit à hurler en agitant un bras au-dessus de sa tête.

« Lord Deric ! Yuhuuu ! » Elle agrippa sa robe d'une main pour lui permettre de courir plus vite, ses pas dispersant la fine couche de brouillard qui s'était formée sur le sol. Elle fit peu de cas des cailloux qui lui transperçaient la plante des pieds.

Jouer la fille qui avait consommé un peu trop de naga, rien de mieux pour qu'un homme ait l'impression d'être en contrôle. Il ne fallait surtout pas qu'il se méfie de son soudain changement d'humeur envers lui. Le temps passé avec la troupe de théâtre depuis quelque mois lui aura au moins apprit à vêtir des émotions qui n'étaient pas les siennes – elle n'aurait jamais cru avoir besoin de ce genre de compétences ailleurs que sur une scène.

Miranda et Deric s'étaient tous deux arrêtés près d'un carrosse dont toutes les parois étaient en verre, ornée de tourbillons de fer aux arabesques complexes qui donnaient l'impression d'être des griffes prêtes à la dévorer. Le cocher était perché sur son assise, un chapeau haut de forme assombrissant son visage. Dans sa prise étaient les rênes de deux chevaux au pelage presque aussi sombre que la nuit autour d'eux.

Lord Deric et Miranda la regardèrent se diriger vers eux, la stupeur déformant leurs traits. Satisfaction mêlée de surprise pour l'un; choc et indignation sur l'autre.

Elle atteint Lord Deric et s'écroula sur son torse en gloussant. « Vous n'alliez tout de même pas partir sans moi ? » Elle releva le visage vers lui, et fit la moue.

Il avait l'air perplexe, mais Yra pouvait voir une lueur de désir dans ses yeux noirs.

« Il est déjà accompagné » dit sèchement Miranda près d'eux. Yra se colla davantage à l'homme, pressant son corps contre le sien.

Qu'est-ce qu'il ne fallait pas faire.

« On ne peut jamais être trop accompagné, n'est-ce pas Lord Deric ? » demanda-t-elle d'une voix mielleuse.

Ses yeux s'assombrirent, un léger sourire jouant sur ses lèvres. « Je suppose que non. »

Sa voix était rauque, et Yra su qu'elle avait gagné. Ignorant le regard brûlant de sa rivale sur sa nuque, elle fit son plus beau sourire à Lord Deric alors qu'il signala à son cocher de lui ouvrir la portière.

Son plan allait fonctionner. Il le fallait.

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Qu'est-ce que vous pensez d'Yra jusqu'à maintenant ?

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À mercredi pour la suite !

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