Chapitre 13 | Pâtisseries & Suspicions

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Yra avait relégué le journal—le satané journal magique au sens de l'humour douteux—sous la latte du plancher. Elle venait de troquer ses vêtements de nuit pour une paire de pantalons et une chemise en flanelle surmontée d'un gilet corseté lorsqu'elle entendit le grincement familier de la porte d'entrée.

Les voix de Viola et de Gina résonnèrent à travers les murs fins de la maison—des chamailleries, comme à leur habitude.

« L'avarice est un vilain défaut, Viola. Allez, fais-moi gouter ! »

Elle s'arrêta au sommet des escaliers pour les observer, dissimulée dans l'ombre, un sourire amusé aux lèvres. Gina tenta d'arracha la brioche des mains de Viola.

« Eh Oh ! » Viola tendit le bras, la gardant hors de sa portée. « Tu n'avais qu'à en acheter une pour toi. »

Elle nargua son amie en mordant à pleines dents dans la pâtisserie roulée.

Gina lui lança un regard de côté en se défaisant de sa cape; elle la pendit à un des crochets rouillés au mur—là où celle de leur mère aurait dû se trouver.

« Comme si tu l'avais payée. » Gina secoua la tête, ses courts cheveux ondulés suivant le mouvement. « Je me demande bien ce que tu as fait à ce pauvre Thomas pour qu'il se sente obligé de te couvrir de pâtisseries à chaque fois qu'on passe par la boulangerie. »

Viola se débarrassa de ses bottines d'un coup de cheville. L'ourlet de sa robe fleurie était trempé. Yra jeta un coup d'œil par la fenêtre; il ne pleuvait plus, mais de grandes flaques jonchaient encore le pavement.

Viola repoussa ses longs cheveux blonds derrière son épaule et leva le nez en l'air. « C'est grâce à mon charme naturel. »

Gina leva les yeux au ciel. Elle s'apprêtait à se laisser tomber dans le canapé quand Viola l'attrapa par le bras. « Attends ! Tu n'as pas enlevé tes bottes. »

Elle lança un regard sévère à Gina en balançant sur la table basse le chapeau rond en osier qui la coiffait.

« hm hm » fit Gina en levant les yeux au ciel.

Elle s'installa sur le divan, le regard de Viola fixé sur elle.

« Je déteste rester pieds nus, Viola. Arrête avec ça, » souffla-t-elle.

« Qu'est-ce que tu racontes ? Tu portes des chaussettes. »

« C'est du pareil au même. »

Viola se posta devant elle, les mains sur les hanches, et pencha la tête. « J'essaye de garder la maison propre, c'est tout. »

La jeune fille leva un sourcil sceptique en jetant un regard autour d'elle. « Je crois qu'il est trop tard pour ça, sans vouloir te vexer. »

Yra grimaça. Aïe. Elle vivait ici tous les jours; l'état de leur maisonnée ne lui était pas inconnu. Mais l'entendre directement de la bouche de quelqu'un était différent. La honte lui chauffa les joues. Le plancher de bois était éraflé, les rideaux aux fenêtres pratiquement en lambeaux, l'air lourd et poussiéreux malgré le ménage incessant de Viola. Leur canapé était si usé que celui jeté dans la cour avant des voisins semblait presque neuf en comparaison.

Viola croisa les bras. Une lutte silencieuse s'en suivit, le regard marron et chaud de sa sœur contre celui, du même vert tendre que l'intérieur d'un raisin, de Gina.

Gina fut la première à s'avouer vaincue en baissant les yeux. Il n'y avait pas une seule personne sur qui sa sœur entêtée n'arrivait pas à avoir gain de cause.

Gina soupira. « Tu n'as peut-être pas tort, après tout. Il parait que les semelles de nos chaussures transportent plus de 421 000 bactéries. »

Un Coeur d'Ombres et de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant