Yra fixait nerveusement la porte close, sa lèvre inférieure malmenée entre ses dents; elle envisageait de tourner les talons.
Il était tard, et les couloirs de l'auberge étaient déserts. En entrant dans le bâtiment défraichi, elle avait croisé le propriétaire, qui passait un coup de chiffon sur le comptoir en servant un dernier verre d'hydromel au seul client encore présent. Un contraste flagrant avec les soirs où elle et le reste de la troupe jouaient sur la petite scène au fond de la salle. L'homme en embonpoint lui jeta un regard curieux — sans doute impatient de rapporter à sa femme les ragots que lui inspirait la présence d'Yra dans son auberge à cette heure-ci. Sans se soucier une seconde des rumeurs qui florirait le lendemain, elle s'était dirigée à l'étage, vers la chambre de la seule personne qui pourrait peut-être l'aider.
Debout devant sa porte, elle ne put s'empêcher de penser à tout ce que rendre visite à un homme en pleine nuit pouvait impliquer. À tout ce que Ian pourrait penser que ça impliquait.
Elle avait besoin d'onguent, absolument, et elle ne savait pas vers qui d'autre se tourner. Les seules personnes qu'elle avait fréquentées semi-régulièrement ces derniers mois, et qui ne semblaient pas la craindre — pas totalement, en tout cas — étaient les membres de la troupe de théâtre. Et plus particulièrement, Ian.
Elle leva le poing, s'apprêtant à frapper, mais hésita à la dernière seconde. La pensée que Ian était probablement endormi à cette heure-ci la gênait, mais la bienséance n'était pas la seule chose qui la restreignait.
L'idée que son don se manifeste sans qu'elle ne puisse le contrôler lui tordait le ventre. La magie lui était venue si facilement, autrefois, et cette nuit avec Deric lui avait donné un gout du pouvoir qui avait sommeillé en elle toutes ces années. Malgré l'adrénaline et l'euphorie qui l'avait envahie en soumettant ce monstre à sa volonté, elle ne pourrait jamais oublier le mal que son don avait causé — ni l'être cher qu'il lui avait arraché.
Et si elle faisait du mal à Ian ?
Son bras retomba à ses flans. Elle ne pouvait pas prendre ce risque, pas avant d'avoir testé les limites de sa magie nouvellement réapparue.
Elle secoua la tête, se fustigeant elle-même, et était sur le point de repartir quand la porte s'ouvrit soudainement.
Elle sursauta et posa une main sur son cœur. « Par Séléné ! Tu m'as fait peur. »
Le garçon lui sourit de toutes ses dents; un sourire sincère et ingénu qui remua quelque chose en elle, quelque chose qu'elle se refusa à identifier.
« C'est moi qui fais peur ? » s'esclaffa-t-il. « Ça fait cinq minutes que j'entends quelqu'un faire les cent pas devant ma porte. Je m'attendais à voir un cambrioleur. »
Yra leva les yeux au ciel.
« Un piètre cambrioleur alors, s'il vient ici pour faire son larcin. »
L'auberge était respectable, mais la clientèle était loin de faire partie de la haute société. Tout voleur aurait mieux fait de tenter sa chance dans une des villes aux alentours. À Bejon, seules les maisons les plus cossues auraient pu constituer des cibles potables, et seulement si le propriétaire exécrait la magie au point de refuser de se servir d'enchantements protecteurs. Pour les résidences comme celles de Deric, par contre, un cambrioleur n'aurait aucune chance — à moins d'être doté lui-même de magie.
Ian ouvrit grand la porte, son sourire creusant une fossette au coin de ses lèvres, et lui indiqua d'entrer d'un signe de tête. Elle eut une seconde d'hésitation, puis inspira un bon coup et fit un pas dans la petite chambre, sa queue de cheval haute se balançant dans son dos. Ian referma la porte derrière elle.
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Un Coeur d'Ombres et de Lumière
Fantasy« Faire confiance à un Immortel c'est comme tendre ton cou à un lion; tu peux espérer qu'il ne fera que le renifler, mais tous ses instincts lui hurlent d'y planter ses crocs. » Yra déteste la magie presque autant qu'elle se déteste elle-même. Marqu...