Yra avait souvent rêvé du jour où elle pourrait enfin quitter Bejon, mais elle n'aurait jamais cru que ce jour arriverait dans des circonstances aussi troublantes. Elle avait souhaité explorer le monde et partir à l'aventure — mais il valait mieux se méfier des souhaits qu'on lançait dans l'univers.
Parce que la situation était loin d'être joyeuse.
Retenant une grimace suite à un énième cahotement de la caravane, elle jeta un regard à Viola, elle aussi assise à même le sol, face à elle. Les yeux perdus dans le vide, sa sœur semblait profondément perdue dans ses pensées. Elle ne lui avait pas adressé un mot depuis trois jours — depuis qu'elles avaient quitté Bejon.
Depuis qu'en sortant de l'auberge, elles avaient surpris une conversation entre les deux commères du village. Pour une fois, les deux femmes n'avaient pas été en train de colporter un ragot sans intérêt — même si Yra aurait mille fois préféré que ce fût le cas. L'histoire qui faisait parler, ce matin-là, était celle du meurtre d'un couple du Quartier Ouest. De leur quartier — de celui de Gina.
Yra avait honte de l'admettre, mais les parents de Gina ne lui avaient même pas traversé l'esprit. Elle avait cru... Elle ne savait pas ce qu'elle avait cru. Que par un miracle quelconque, ses parents n'avaient pas été là, ou que la brute les avait épargnés — qu'ils s'en étaient sortis. Apparemment, Viola avait espéré la même chose, vu le choc qui s'était inscrit sur son visage en apprenant la nouvelle.
Viola avait refusé de lui adresser la parole depuis, et le gouffre dans sa poitrine s'était fait de plus en plus profond et douloureux.
Yra n'était peut-être pas celle qui avait porté le coup fatal aux parents de Gina, mais elle était autant responsable de leur mort que la brute. Que Deric. À cause d'elle, à cause des erreurs qu'elle avait commises cette nuit-là chez le Vampyr, Gina avait perdu ses parents, et rien ne pourrait jamais faire pardonner ça. Même si Yra parvenait à la sortir de là, la vie de Gina serait bouleversée à jamais — comme la sienne l'avait été suite au décès de son père.
Elle respira profondément par le nez pour contenir la nausée qui l'avait saisie.
Melvin, assit sur un petit tabouret, lui tendit sa flasque de café. Ses longues jambes repliées sur elles-mêmes lui donnaient un air presque comique, alors qu'il tenait la coiffeuse d'une main pour ne pas tomber à chaque soubresaut de la caravane.
« Ça aide avec le mal des transports, » dit-il, se méprenant sur la raison de son malaise.
Elle refusa la boisson avec un sourire qu'elle voulut rassurant. Ils avaient passé les trois derniers jours sur la route, ne s'arrêtant que pour nourrir les chevaux et pour dormir. Ils avaient décidé d'emprunter la route qui longeait la Forêt Absolue, puisqu'il s'agissait du chemin le plus direct pour se rendre de l'autre côté du continent, jusqu'à Wickross. À leur gauche, la frontière entre Solis et Kyel était d'une beauté enchanteresse ; ses feuillages de couleurs improbables donnaient l'impression que les arbres étaient faits en friandise.
La partie de la Forêt Absolue qui était collée à Bejon semblait presque normale, comparée à ce qu'elle en voyait maintenant, et à chaque fois qu'ils s'arrêtaient, elle devait combattre l'envie qui la poussait à s'y enfoncer. Peut-être était-ce l'œuvre d'un sortilège ? Peut-être que les Fae avaient ensorcelé la forêt qui séparait leur territoire de celui des mortels, de façon à ce que de pauvres voyageurs y soient attirés malgré tout le bon sens qui aurait dû les pousser à s'en éloigner.
À leur droite, cependant, le paysage était tout autre. De hauts conifères caressaient le ciel gris, la terre parfois recouverte d'une fine couche de neige par endroit, souvent baignée dans tellement d'eau que Ian, Clyde, Grace et Melvin se réveillaient couverts de boue, malgré leurs sacs de couchage.
VOUS LISEZ
Un Coeur d'Ombres et de Lumière
Fantasy« Faire confiance à un Immortel c'est comme tendre ton cou à un lion; tu peux espérer qu'il ne fera que le renifler, mais tous ses instincts lui hurlent d'y planter ses crocs. » Yra déteste la magie presque autant qu'elle se déteste elle-même. Marqu...