Des sueurs froides perlaient sur sa nuque, ses tempes, son front, mais un feu lui tordait les tripes. Yra voulait s'indigner, hurler de rage que Deric ait osé lui arracher le seul objet qu'il lui restait de son père après toutes ces années –
Mais cet homme était dangereux. La sensation de malaise qui lui serrait la poitrine en sa présence prit son sens; il s'agissait de la même sensation qu'elle avait eu, enfant, envers un autre homme. Son instinct ne l'avait pas trompé alors, et il ne la trompait pas maintenant.
Son subconscient avait reconnu un tueur face à elle.
Même si chaque fibre de son corps lui hurlait de fuir, de s'extirper de sa prise et de sauver sa peau avant que la soirée ne prenne un tour encore plus sinistre, Yra ne put se résoudre à abandonner sa mission. Pas maintenant, pas alors qu'elle était si près du but. Regretter les choix qui l'avaient menée à cet instant n'allait rien changer. Elle était à deux doigts de trouver cette satané bague qui semblait si importante pour Zibara – si près d'effacer la dette de sa mère. Ce serait bientôt finit, se rassura-t-elle. La fiole de passiflore était toujours dans sa ceinture, elle avait toujours l'avantage, le contrôle de la situation. Elle pouvait s'en sortir.
Restait à trouver comment lui administrer.
« Lord. »
Toutes les têtes se tournèrent vers la voix gutturale, la tension du moment éclatant comme une bulle de savon.
À l'entrée de la pièce se tenait un homme immense. Ses épaules larges et son tronc épais emplissaient tout l'espace du cadre de porte. Il était vêtu d'une chemise blanche et d'un gilet noir qui semblaient trop petits pour ses muscles aussi saillants que ceux d'un bœuf. Son dos était légèrement courbé vers l'avant, comme si son propre poids était trop difficile à porter. Son allure pouvait sembler comique au premier abord, mais son teint cireux et son arcade sourcilière proéminente surmontée de sourcils touffus décolorés lui donnaient un air inquiétant. Son crâne était rasé, et Yra devina que même s'il avait eu des cheveux, ils auraient été dépourvus de couleur.
« Quoi. » Un ordre, pas une question.
L'homme n'eut pas un seul regard pour elle ou Miranda. Elle crut d'abord que ce genre de scène était habituelles pour lui, qu'il avait vu tellement d'horreurs au service de ce monstre que plus rien ne le choquait. Puis, elle remarqua ses yeux. Ils semblaient vides, d'une étrange teinte de rouge délavé, dépourvus de toute émotion ou signe de présence.
Il ne pouvait pas les voir. Il ne pouvait rien voir du tout.
Comme pour répondre à Lord Deric, en un mouvement d'ailes rapides un oiseau vint se poser sur l'épaule de l'homme aux sourcils blancs.
Non. Pas un oiseau.
Un papillon, réalisa Yra. Il faisait dix fois la taille de ceux qu'elle voyait parfois lors de ses balades en forêt, ses deux paires d'ailes orange veinées de noir et tachetées de blancs miroitant d'une lueur opaline. Un éclat de couleur qui détonnait avec la grisaille des lieux.
« Un Monark est arrivé, Lord. »
Une missive, à cette heure-ci ? Il devait venir de loin. Ces papillons étaient enchantés pour parcourir de longues distances en un minimum de temps. Ils étaient utilisés principalement par les plus fortunés – après tout, la magie était onéreuse – et avaient la particularité de délivrer leur message par télépathie. Parfaits pour communiquer des informations confidentielles, ou pour les magouilles pas très nettes. Yra n'en avait plus vu d'aussi près depuis longtemps; son père avait l'habitude d'en recevoir quotidiennement à l'époque où les affaires marchaient bien. Enfant, leurs antennes géantes et leurs gros yeux noirs aux mille facettes l'avaient toujours terrifiée.
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Un Coeur d'Ombres et de Lumière
Fantasy« Faire confiance à un Immortel c'est comme tendre ton cou à un lion; tu peux espérer qu'il ne fera que le renifler, mais tous ses instincts lui hurlent d'y planter ses crocs. » Yra déteste la magie presque autant qu'elle se déteste elle-même. Marqu...