Yra avait une affection particulière pour les saules pleureurs.
Petite, son père lui interdisait de s'aventurer seule en forêt — plus particulièrement dans la Forêt Absolue, qui bordait Bejon et le reste de la frontière entre Solis et Kyel. Sa voix grave résonnait encore dans son esprit : « La déception et la mort attendent ceux qui approchent le royaume des Immortels, » répétait-il sans cesse.
Adolescente, elle s'était montrée de plus en plus imprudente, et les mises en garde de son père décédé avaient soudain sonné comme un défi. À la tombée de la nuit, elle avait succombé à la tentation de constater par elle-même ces dangers — une partie d'elle espérant presque ne jamais en revenir.
La déception l'avait envahie lorsque, au lieu des mille-et-un dangers promis, elle avait trouvé une forêt des plus ordinaire. Peut-être ne s'y était-elle pas aventurée assez profondément ; peut-être lesdits dangers l'attendaient-ils quelques mètres plus loin. Mais, après quelques minutes de marche seulement, un animal était sorti de derrière un arbre, l'arrêtant net dans son exploration.
Son pelage noir se fondait dans l'obscurité ; seuls ses yeux gris, aussi brillants que deux Marks d'argent fraîchement polies, trahissaient sa présence.
Elle avait reculé, le cœur battant, prête à fuir à toute jambe. Puis, l'animal s'était avancé sous la lueur de la lune, révélant la silhouette d'un loup — d'une louve, comme elle le comprendrait plus tard. Yra aurait dû être d'autant plus effrayée de se trouver devant un tel prédateur, mais dans son regard luisait une lueur qui l'avait mise en confiance. Un craquement sourd avait résonné au loin, et, d'un mouvement du museau, la louve lui avait fait signe de la suivre. Mue d'une impulsion qu'elle ne saurait toujours pas expliquer aujourd'hui, Yra lui avait emboité le pas.
Sous ses yeux ébahis, la louve avait trotté jusqu'au centre d'une magnifique clairière. Des petites fleurs délicates aux nuances nacrées parsemaient l'herbe luxuriante. Des poissons colorés sautaient hors de l'eau turquoise d'un petit étang, sous la lueur argentée de la lune.
Et au bord de cet étang, un arbre majestueux, ses longues branches en forme de lianes caressant le sol telles des larmes tombant du ciel. Elle s'était laissée guidée sous son ombre par la louve, qui s'était alors blottie contre elle. L'endroit était d'une beauté à couper le souffle.
Elle avait régulièrement visité la clairière depuis, emportant souvent un des vieux livres de son père pour lui tenir compagnie. La Forêt Absolue, liée au territoire des Fae plus qu'à celui des mortels, n'était pas affectée par les saisons du royaume de Solis. Elle semblait figée dans un éternel cycle entre printemps et été qui émerveillait Yra à chaque fois qu'elle y mettait les pieds.
L'endroit était devenu sien, gardé secret de tous — même de sa sœur. La louve était revenue la visiter plusieurs fois au cours des années, et même si Velana disparaissait parfois durant de longs mois avant de réapparaitre, elle avait substitué aux yeux d'Yra les amis humains qu'elle n'avait jamais eus.
Velana. Ce drôle de nom qu'elle avait donné à la louve, la contraction des prénoms de ses deux poupées préférées — Vela et Ana. Elle les avait perdues lors de leur déménagement du manoir, seulement pour les retrouver au bras d'une de ses camarades de classe de l'académie quelques jours plus tard. Apprendre, peu de temps après, que les poupées n'avaient jamais réellement été perdues avait été un choc ; sa mère les avait vendues, comme elle avait vendu la majorité des affaires de sa fille ainée à l'époque. Peu de celles de Viola, pratiquement aucune des siennes ; celles qu'Yra avait pu garder se comptaient sur les doigts d'une main.
Quelques fois, elle se sentait mélancolique de son ancienne vie — de leur manoir confortable, toujours chaud, l'abondance de nourriture, le sommeil facile sans l'angoisse de manquer d'or — mais les souvenirs étaient tellement flous qu'elle en arrivait à se demander si elle n'avait pas rêvé tout ça.
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Un Coeur d'Ombres et de Lumière
Fantasy« Faire confiance à un Immortel c'est comme tendre ton cou à un lion; tu peux espérer qu'il ne fera que le renifler, mais tous ses instincts lui hurlent d'y planter ses crocs. » Yra déteste la magie presque autant qu'elle se déteste elle-même. Marqu...