Chapitre 33 | Aussi mauvais que toi

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Yra n'aurait jamais cru croiser une telle créature en chair et en os. Les Syren ne s'aventuraient jamais loin de l'océan, et la mer rocailleuse des côtes de Bejon était trop orageuse pour elles.

Pourtant, une Syren se trouvait juste sous ses yeux, à des centaines de kilomètres de l'océan, respirant avec peine. Une plaie profonde traversait sa hanche jusqu'au nombril. Un liquide argenté en suintait — son sang.

En l'apercevant, la créature lâcha un nouveau râle, plus bas, comme le feulement d'un animal qui se sentait en danger. Ses lèvres pâles étaient recourbées sur des dizaines de petites dents pointues.

Comme celles de Davion.

Si les sons venant d'elle jusque-là avaient presque semblé être des appels à l'aide, celui-là était définitivement une menace.

« Qu'est-ce que c'est ? » s'enquit Grace en triturant nerveusement le rebord de sa cape, toujours à quelques mètres de là.

« Viens ici. »

Grace hésita, mais finit par s'approcher.

« Tout va bien. » Yra s'agenouilla près de la Syren. « On va t'aider. »

« Aider qu— » les mots moururent sur la langue de Grace à la vue de la créature.

Yra lui arracha son sac des mains, et en sortit la flasque de naga ; Grace était tellement choquée qu'elle n'eut aucune réaction.

« Qu'est-ce que tu fais ? »

Yra ignora Grace, s'adressant à la Syren, « Ça va brûler un peu. Ne bouge pas, d'accord ? »

La Syren la dévisagea, ses grands yeux d'un vert pailleté d'or cherchant avec méfiance le sens de ses mots. Yra lui désigna la flasque, versa une petite quantité de naga sur sa propre main en grimaçant de façon exagérée, puis montra la plaie du doigt. Le regard méfiant de la Syren lui brûlait la peau, mais elle resta immobile.

« Compris ? »

« La seule chose que j'ai comprise, c'est que tu gaspilles les dernières gouttes de mon relaxant préféré, » marmonna Grace derrière elle.

Yra leva les yeux au ciel. « Tais-toi, Grace. »

Que la Syren l'ait compris ou pas, Yra devait l'aider. Elle versa prudemment le naga sur la plaie ouverte, le liquide ambré emportant avec lui le sang argenté de la créature.

Elle s'arqua en arrière en poussant un cri strident, ses griffes acérées s'enfonçant entre les galets, mais ne se déroba pas. Yra versa le reste du naga, puis sortit de l'intérieur de sa cape le petit pot d'onguent qu'elle gardait précieusement sur elle en tout temps. Sa propre blessure à la cuisse était presque guérie, mais demeurait sensible — grâce à l'onguent, la douleur était grandement apaisée. Elle espérait qu'il fonctionne sur la Syren également.

Yra en étala une quantité généreuse sur la blessure, massant pour le faire pénétrer. La Syren montrait toujours les dents, mais davantage par instinct que par réelle menace à présent.

L'onguent fit son effet, et la Syren s'apaisa, levant des yeux reconnaissants vers Yra —

Prise de panique, la Syren s'agita et tenta de reculer en se trainant sur les galets, le regard rivé derrière Yra. Un feulement aigu monta de la créature.

Yra se retourna vivement, surprenant Grace, qui agrippait une petite dague de toutes ses forces, son regard déterminé fixé sur la Syren.

Elle n'eut même pas le temps d'analyser la situation que Grace se propulsa vers la créature. Yra attrapa sa cheville avant qu'elle ne puisse atteindre la Syren, et la tira d'un coup sec. Grace perdit l'équilibre sur les galets en piaillant et s'étala par terre. La dague lui échappa et glissa un peu plus loin.

« Mais qu'est-ce qui te prend ? » s'époumona Grace en frappant de son pied libre la main d'Yra qui tenait toujours sa cheville.

Yra refusa de la lâcher, absorbant la douleur du coup.

« Toi, qu'est-ce qui te prend ? »

« Lâche-moi ! »

Grace parvint à se défaire de sa prise et tenta d'atteindre sa dague. Yra se jeta sur elle, la plaquant face contre terre.

« Arrête, Grace ! »

Mais la jeune fille se débattait comme un diable sous elle, le bras tendu pour essayer d'atteindre la dague. Comme la majorité des mortels, Grace n'avait pas spécialement de bienveillance envers les Immortels, mais Yra n'aurait jamais cru la jeune fille capable de tuer.

« Ça... suffit... Arrête ! » articula-t-elle avec difficulté en lutant de toute ses forces pour tenir Grace en place.

Un mouvement lui fit relever la tête ; la Syren avait rampé jusqu'à la rivière, et disparu dans l'eau, sa queue les éclaboussant au passage. Grace profita de ce moment de distraction pour donner un coup de coude vers l'arrière, droit dans les côtes d'Yra et la faire rouler sur le côté.

Grace sauta sur sa dague et scruta la rivière des yeux, tentant d'apercevoir à travers la vapeur blanche un éclat turquoise.

« Elle est partie, ne te fatigue pas, » souffla Yra en se relevant, une main sur sa côte douloureuse.

Grace pivota vers elle, des éclairs dans les yeux, sa dague toujours en main. Elle marcha furieusement jusqu'à elle, et, pendant une seconde, Yra crut qu'elle allait la poignarder, mais elle se contenta de cracher :

« C'est quoi ton foutu problème ? »

« Mon problème ? C'est toi qui te jettes sur les gens avec une dague à la main. »

« Quelles gens ? C'est une Immortelle ! »

« Ça ne te donne pas le droit de lui faire du mal. »

« Oh, je vois, » Grace porta une main à sa poitrine d'un air moqueur. « Tu es à la défense des pauvres petits Immortels, maintenant ? Je suis sûre qu'ils t'en seront très reconnaissants. »

Ressentir de la satisfaction à un moment pareil, en voyant le masque de fausse innocence de Grace fondre devant elle, était complètement malsain, mais elle n'arrivait pas à en détourner les yeux. Elle avait eu raison sur cette fille, depuis le début.

« Je croyais que tu les détestais, toi aussi, » cracha Grace.

« Je ne les déteste pas ; je ne leur fais pas confiance, c'est différent. »

Grace eut un maigre sourire. « En même temps, comment pourrais-tu détester des êtres aussi mauvais que toi-même. »

Elle attrapa le poignet d'Yra, exposant sa marque en forme de croissant de lune. Un instinct la prit au ventre, et son poing s'écrasa sur le nez de Grace en un craquement sourd. La jeune fille tomba sur le derrière avec un cri, à moitié dans l'eau et les mains en coupe sur son nez blessé.

« Ne pose plus jamais la main sur moi, » dit Yra, une froideur dans la voix telle qu'elle eut du mal à reconnaitre que les mots provenaient d'elle.

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Grace montre enfin son vrai visage... et il n'est pas joli.

Laissez-moi un petit mot pour me dire ce que vous pensez de ce chapitre et de ce qui s'y est passé, ça me ferait plaisir ^^

See you soon pour la suite !

Un Coeur d'Ombres et de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant