Chapitre 4 | Droit dans la gueule du loup

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Le chemin jusqu'à la résidence de Lord Deric démarra dans un silence lourd. C'était à prévoir, vu qu'elle venait plus ou moins de dérober sa proie à Miranda. Les regards assassins que la courtisane lui jetait par-dessus son masque de dentelle blanche auraient pu trouer de l'acier. Yra avait tenté de balbutier quelques mots, histoire de se distraire de la nervosité qui grimpait lentement en elle, mais n'avait récolté qu'un roulement d'yeux agacé de Miranda et un sourire poli de Lord Deric. Il était aussi froid que son apparence.

L'intérieur de la voiture était impressionnant - à l'image de l'extérieur. Les sièges étaient matelassés d'un cuir noir, comme celui du carrosse de son père, autrefois. Ignorant les regards curieux de Deric et Miranda, elle enleva ses gants de dentelle, les fourra dans son décolleté, puis posa les mains à plat de chaque côté de ses cuisses. Les yeux fermés et la tête balancée en arrière, elle savoura la sensation du cuir doux sous ses doigts. Ses poumons engouffrèrent avidement l'odeur sèche et fumée de l'habitacle. Elle n'avait pas été dans un carrosse aussi luxueux depuis -

Le visage de son père lui vint à l'esprit, son regard tendre envers elle, son sourire qui arrivait à chasser tous ses maux. Puis, sa figure ravagée, tuméfiée, en sang. Sa voix tremblante, quand il lui avait fait promettre dans son dernier souffle de toujours être là pour sa sœur. Et sa mère.

Un creux s'était créé à la place de son cœur, et elle remit ses gants en ravalant péniblement le nœud qui avait pris forme dans sa gorge. Mille et un battements de cils furieux gardèrent ses larmes de lui échapper. Il n'y aurait pas pu avoir pire moment pour laisser ses émotions l'envahir.

Toutes ces années étaient passées, pourtant les images de ce jour étaient toujours aussi mordantes, prêtes à lui sauter dessus au moindre élément déclencheur. Parfois, elle souhaitait pouvoir oublier, rêvassait de commander à Zibara une potion de renouveau qui effacerait ses souvenirs, et de s'enfuir loin; loin de Bejon, loin de ces gens, loin de cette vie. Loin de tout. S'il n'y avait pas eu Viola, elle aurait peut-être tenté sa chance. Une nouvelle vie, sans culpabilité, peut-être quelque part où les personnes comme elle pouvaient espérer -

Le carrosse cahota brusquement, manquant de la faire tomber sur Miranda. Elle reprit son équilibre contre la paroi en verre et avant qu'elle ne puisse l'en empêcher son regard glissa vers le village en contrebas. Le chemin de gravier qui descendait le long de la colline où était perché le manoir était très étroit et dangereux à naviguer. La silhouette sombre de Hollow Stone, avec sa bâtisse en pierres anciennes et son portail en fer forgé, surplombait les rues nébuleuses de Bejon. Elle ferma les yeux, une grimace nauséeuse déformant ses traits.

« Un vertige ? » Elle se redressa subitement sous le ton narquois de Miranda, piquée au vif.

« Tu peux sortir, si tu veux, » ajouta la courtisane. « Fait le chemin à pied si le carrosse te secoue trop ! »

« Ça ira, » répondit Yra sèchement.

Deric les regardait avec amusement, savourant le spectacle de leur querelle. Voir deux jeunes femmes se disputer sa compagnie lui était visiblement très agréable.

Miranda renifla avec dédain, puis son regard glissa vers le sol. L'ombre d'un sourire joua sur ses lèvres. « C'est vrai que sans chaussures, ce serait difficile. »

Les orteils d'Yra se recourbèrent d'embarras et la chaleur lui monta aux joues. Elle réajusta la jupe de sa robe pour y dissimiler ses pieds nus.

Quelle peste.

En pleine nuit, le village lui semblait presque accueillant, comme il l'avait été autrefois. Les rues désertes étaient faiblement éclairées par une lueur blanchâtre; des lanternes sphériques flottaient paresseusement à trois mètres du sol. Si quelqu'un laissait son regard y trainer plus d'une seconde, il pourrait distinguer au centre des flammes pâles de minuscules créatures ailées aux queues reptiliennes. Les corps grisâtres et apathiques bougeaient à peine, leurs écailles ternes. Autrefois, lorsqu'Yra était encore petite fille, leur feu avait été vibrant de couleurs chaudes; avant que le temps ne fasse son œuvre, et que leur magie – leurs vies - ne commence à s'éteindre.

Au village, on parlait de les remplacer, de réunir une expédition pour capturer de nouvelles Salamandres qui alimenteraient l'éclairage. Comme s'il s'agissait de simples accessoires là pour le bénéfice des mortels et non pas d'êtres vivants dotés de conscience ou de sentiments.

Le regard d'Yra n'y trainait jamais plus d'une seconde.

Dans le carrosse en verre qui serpentait entre les bâtiments de pierres, elle se sentait à la fois exposée et invisible, et c'était étrangement libérateur. Personne ne la jugeait, à l'instant, personne ne savait même qui elle était. Aucun regard malveillant – excepté celui de Miranda -, pas de voisins colportant de rumeurs indécentes sur sa famille, ni de murmures sur son passage. Mais les rues ne resteraient pas désertes bien longtemps, et demain – dans quelques heures – la vie reprendrait son cours habituel.

Ils passèrent par les petites rues serrées de son quartier, et Yra retint son souffle lorsqu'ils arrivèrent devant le portail rouillé de l'étroite maison de ville qu'elle habitait avec sa famille. Elle remarqua de la lumière provenant de la salle de séjour, derrière les vieux rideaux abimés aux fenêtres. Qui pouvait bien être debout à cette heure-ci ? Elle s'était assurée que Viola et sa mère soient endormies avant de se glisser discrètement hors de la maison.

Elle tordit le cou pour garder les yeux rivés sur la maison, les sourcils froncés, et juste avant que la voiture ne tourne au coin de la rue, elle vit une ombre encapuchonnée en sortir. Ses dents s'enfoncèrent dans sa lèvre inférieure; quelle que soit la raison pour sa mère ou sa sœur de sortir au milieu de la nuit, ça ne pouvait rien présager de bon.

Yra se promit de régler cette question demain – quand elle aurait accompli sa mission et que cette affreuse soirée serait terminée.

Le carrosse progressa rapidement vers les résidences les plus cossues, des parts de la ville où elle ne mettait plus les pieds depuis longtemps. La lune s'était recouverte de nuages, et quelques fines goutes de pluies s'écrasaient contre le verre de l'habitacle. Ils s'arrêtèrent devant une demeure à l'image même de Lord Deric; sombre, froide, et inquiétante. Le grand portail s'ouvrit avec un grincement assourdissant, faisant virevolter les feuilles d'automne tombées des arbres menaçants qui les encadraient.

Un frisson lui parcourut l'échine. Elle se jetait droit dans la gueule du loup.

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Qui est sorti de chez Yra d'après vous ? Votez si vous pensez que c'est sa mère, commentez si vous pensez que c'est sa sœur !

Vous n'imaginez pas à quel point je suis heureuse à chaque fois que je poste un chapitre ici.

Cette histoire me tient à cœur, et avoir vos commentaires, vos avis, ça m'emplit de joie à chaque fois. N'oubliez pas de voter si vous avez aimé ce chapitre, ça aide beaucoup l'histoire à être découverte par plus de monde ! Je vous poste la suite vendredi, et pour vous faire patienter voilà le titre du prochain chapitre :

Chapitre 4 | Ce soir, tu m'appartiens

À très vite !

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