Chapitre 20 | Toute la magie du monde

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L'homme semblait bien trop avide lorsqu'il grinça :

« Il y a d'autres façons de payer. »

« Comme ? » Elle leva un sourcil.

Il sourit grandement, laissant apparaitre des dizaines de petites dents pointues et acérées. Yra trébucha en arrière ; sa mère la rattrapa par le coude.

« Vous aviez dit être mortel, » souffla Yra d'une voix blanche, les yeux écarquillés.

Il opina, son sourire féroce s'élargissant.

« Mais... vos dents... »

« Mes dents, mes dents, » soupira Davion en jetant les bras en l'air dramatiquement. « Il n'y en a toujours que pour mes dents. »

Il rapprocha soudain son visage du sien. Le long nez de l'homme touchait presque le sien — presque. Elle tressaillit, mais ne recula pas.

« C'est très malpoli, tu sais ? » continua-t-il. « De commenter le physique des gens. »

« Navrée, » dit-elle d'une voix égale, refusant de se laisser intimider par le comportement étrange de l'homme. Il observa son visage un instant, puis recula d'un bond. Yra relâcha sa respiration, ne se rendant compte que maintenant qu'elle avait retenu son souffle.

« Le destin a un message. » Il tourna sur lui-même et claqua des mains. « Tu veux l'entendre ? »

« Oui. » Heida se leva. « Nous voulons l'entendre. »

Davion leva les mains, paumes vers le ciel, et répéta, « Toute magie a un prix... »

« Qu'est-ce que vous voulez ? » claqua Yra d'un ton impatient.

Cet homme n'était qu'un baratineur, mais sa curiosité était plus forte que la raison ; elle voulait savoir ce qu'il allait lui sortir comme sornette.

« Une promesse. » Il se frotta les mains. « Une faveur. »

Yra croisa les bras. « Très bien. »

Il s'esclaffa avec délice, et elle se demanda si elle ne venait pas de faire une erreur. Elle se rassura en se disant que cet homme n'était qu'un mortel — leur "marché" n'était pas lié par la magie. Elle pourrait toujours se rétracter le moment venu.

« Ton père est très agité te concernant. » Davion s'assit à la table, et posa ses mains sur la boule de cristal.

Yra inspira profondément pour apaiser le pincement au cœur que lui provoquait la mention de son père.

Davion ferma les yeux, et se mit à masser du bout des doigts la sphère translucide en marmonnant des mots qui ressemblaient davantage à du charabia qu'à de véritables incantations. Yra jeta un regard perplexe à sa mère, qui se contenta de hausser les épaules.

« Ne laisse pas l'ombre te dévorer, ma fille, » dit Davion d'une voix profonde, prétendant délivrer les paroles de son père. « Quand tout semble perdu, embrasse la flamme. »

« Quoi ? » exhala Yra d'un air incrédule.

« Embrasse la flamme, » répéta-t-il en rouvrant finalement les yeux.

La colère qu'Yra avait tenté de contenir jusque-là se mit à bouillonner lentement dans ses veines. Cet homme était un escroc ; elle l'avait compris depuis un moment. Mais qu'il soit aussi mauvais dans son rôle, qu'il se serve de son défunt père pour transmettre des pseudos messages qui ne voulaient rien dire, et — pire que tout — que sa mère continue d'avaler ses balivernes sans broncher ? La chaleur lui montait à la tête tant la situation était surréaliste.

« Les messages de l'au-delà sont parfois obscurs, » tenta de justifier Heida.

Yra lâcha un rire dur. « Ça n'avait pas l'air si obscur quand "papa" » — elle mima des guillemets avec ses doigts — « te parlait à toi. »

Heida lui jeta un regard ombrageux.

« Je n'aime pas ce ton sarcastique, Yrabel. »

« Regarde comme j'en ai quelque chose à faire. »

Yra attrapa la bourse de sa mère posée sur la table dans l'intention de repartir avec — pas question que ce détrousseur d'espoir garde l'or — quand Davion asséna un coup sec sur son bras à l'aide de sa canne. Elle fit un bond en arrière en glapissant de douleur. Jetant un regard meurtrier à l'homme, elle massa avec une grimace l'endroit qui avait reçu le coup.

« J'ai respecté ma part du marché, mademoiselle. Il n'est pas judicieux de s'en prendre au messager. »

Elle se tourna vers sa mère, qui les regardait avec de grands yeux. Sans bouger.

« Tu vas juste laisser ce type garder l'or ? Alors qu'il se fiche clairement de toi ? » cracha Yra.

Sa mère hésita un instant, puis lâcha, « Davion est en connexion avec l'au-delà — avec ton père. Il a fait beaucoup pour moi. »

Heida lança un regard d'adoration à l'homme, qui lui lança un sourire carnassier qui la fit frémir. Il était resté assis sur sa chaise, le menton posé au-dessus de ses mains sur le pommeau de sa canne.

« En connexion avec l'au-delà ? » Yra eut un rire sans humour. « Ce type est un charlatan, il te dit ce que tu veux entendre. Même toi tu devrais être capable de voir ça. »

Sa mère se tendit. « Tu devrais partir, Yrabel. »

« Ne me dis pas que tu es bête à ce point, » marmonna Yra entre ses dents. « Un homme — un mortel — te dit qu'il peut parler aux morts, et tu le crois sans te poser de questions ? Alors qu'il n'a aucune marque — aucune magie ! »

Le visage de Heida perdit toutes ses couleurs, entre déni et colère. « Tu l'as entendu. Il parlait avec Edgar, avec ton père. Il a dit que — »

« J'ai entendu, oui. » La voix d'Yra était acerbe, transformant la brûlure de sa déception en une arme prête à plonger dans le cœur de quiconque se trouverait face à elle — et à l'instant même, il s'agissait de sa mère. « Dans quel univers tu vis pour croire un seul instant que papa pourrait être fier de toi ? Regarde ce que tu es devenue. » 

Yra crachait les mots comme un serpent aurait craché son venin, incapable de retenir la cruauté de ses paroles. Elle jeta à sa mère un regard dur, cachant son amertume derrière une façade de mépris.

Si Heida ne voulait pas réaliser la supercherie dont elle avait été victime, Yra ne pouvait rien faire de plus. Elle tourna les talons et détala, la gorge serrée et en feu, et claqua la porte derrière elle. Le choc qui avait traversé le visage de sa mère face à ses paroles était gravé au fer rouge dans son esprit. La culpabilité lui comprima la poitrine.

Elle courut, courut jusqu'à en perdre le souffle, jusqu'à ce que ses poumons hurlent, jusqu'à ce que ses jambes brûlent. Puis, elle s'effondra sur le pavement froid et humide des rues de Bejon, des sanglots incontrôlables secouant son corps. Ses ongles courts s'écorchèrent contre la pierre, comme si un mal physique pouvait apaiser celui de son âme. 

Pour la première fois depuis longtemps, elle fut incapable de contenir ses pleurs, la lune et les étoiles pour seules témoins de sa peine, alors qu'une évidence qu'elle se refusait à accepter lui déchirait le cœur.

Son père n'était plus là. Et toute la magie du monde ne pourrait jamais changer ça.

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C'est parfois difficile d'écrire ce genre de scène, où Yra souffre de la perte de son père, ayant perdu des gens moi-même. Mais ça a aussi un côté cathartique.

Qu'est-ce que vous pensez de Davion ? Charlatan, ou pas ?

J'espère que vous avez aimé ce chapitre, n'hésitez pas à me laisser votre avis en commentaire.

Merci à tous ceux qui prennent le temps de voter, vous êtes géniaux !

See you soon.

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