Chapitre 11 | Elle aurait dû mourir

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Yra agrippa le rebord froid de la toilette, son estomac vide se tordant atrocement. Sans surprise, elle y régurgita une bile incolore et acide qui lui brûla la gorge. Elle n'avait rien avalé depuis hier soir, hormis les deux verres de naga chez Zibara.

Le soleil était déjà haut dans le ciel. Ses rayons vifs passaient à travers la petite fenêtre ronde au-dessus de la baignoire à pattes de lion, illuminant la poussière qui flottait dans l'air comme s'il s'agissait de milliers de fées microscopiques virevoltant autour d'elle.

Pantelante, un tremblement imperceptible secouant son corps endolori, elle se releva péniblement. Les bleus sur sa main étaient plus effrayants qu'ils ne la faisaient souffrir, mais sa cuisse la lançait toujours; la plaie était brûlante à travers le bandage qu'elle s'était confectionné.

Son reflet dans le miroir la fit sursauter; cheveux ébouriffés, rouge à lèvre étalé autour de la bouche, le contour des yeux tâché de noir. Pathétique. Elle avait l'air tout bonnement pathétique, et son ample chemise de nuit en flanelle blanche ne faisait rien pour arranger le tableau.

Retenant un soupir, elle ouvrit les deux robinets rouillés du lavabo pour s'asperger le visage d'eau tiède, ses mains en coupe sous le faible filet qui en sortit.

Froide.

Yra les referma et les rouvrit plusieurs fois, jurant entre ses dents.

Sa mère allait la rendre folle. Sa seule responsabilité était de payer les utilités avec l'or que leur oncle envoyait tous les mois—et même ça semblait être trop lui demander.

Elles allaient être coincées avec de l'eau glaciale pour le reste du mois. Génial.

Elle arrosa malgré tout son visage collant de sueur, tentant de s'éclaircir l'esprit. Encore et encore, l'eau froide percuta sa figure, comme si la chair de poule qui la parcourait pouvait lui faire oublier le cauchemar qu'avait été la soirée de la veille.

En vain.

Lord Deric et son ignoble verre de sang. Miranda et ses remarques acerbes. Le craquement abominable de son cou cédant sous la prise de Deric. La façon dont ce monstre avait jeté la courtisane contre le mur, comme si elle n'avait été rien de plus qu'un jouet usé pour lequel son intérêt s'était épuisé.

Elle n'avait rien fait pour l'aider. Miranda avait été assassinée sous ses yeux, et elle n'avait rien fait.

Yra serra les paupières, ses mains agrippant la porcelaine jaunie du lavabo d'une force telle que ses jointures en blanchirent. La nausée menaçait de l'envahir de nouveau.

L'image du corps sans vie de Miranda ne voulait pas s'estomper.

Mille-et-une questions à propos de la jeune femme tourbillonnaient dans son esprit. Elle ne l'avait connue que le temps d'une soirée, et Miranda n'avait pas exactement brillé par sa gentillesse, mais ce qu'elle avait aperçue sous sa façade lors de leur brève conversation l'obnubilait.

Miranda avait certainement eu des rêves, des envies, des espoirs. Même si elle lui avait semblée résignée à son sort, elle ne pouvait croire que la vie de la courtisane se résumait à ça. Tenir compagnie à des hommes fortunés, servir de repas sur pattes à ce genre de monstre—non. Il y avait sûrement plus; il devait y avoir plus.

Avait-elle une famille, ou du moins quelqu'un, à qui elle manquerait ? Une personne qui s'inquiéterait de ne pas la voir rentrer ? Qui se rongerait les sangs, passerait des nuits blanches entières à chercher ce qui lui était arrivé, à essayer de comprendre sa disparition ? Quelqu'un dont la vie ne serait plus jamais la même sans elle—

Un Coeur d'Ombres et de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant