La nuit était tombée, amenant avec elle l'air froid caractéristique du nord de Solis. Pendant que les garçons assemblaient le bois pour faire du feu, Grace s'éclipsa pour aller faire sa toilette, comptant sur la chaleur surnaturelle qui se dégageait de l'eau de Misty Rill pour la tenir au chaud. La rivière, qui courait sur une bonne partie de leur route vers Wickross, avait été leur seul moyen de garder une hygiène raisonnable en voyageant de la sorte ; si l'eau avait été aussi froide qu'elle aurait dû l'être, il aurait été impossible de s'y baigner.
Yra surveillait Grace du coin de l'œil depuis qu'ils s'étaient arrêtés, dans l'attente de l'occasion parfaite pour tenter de récupérer le journal. Elle avait cherché l'objet partout dans la caravane dès qu'elle l'avait pu, sans succès. Il ne pouvait qu'être dans le sac de Grace — un joli accessoire en tissu beige, à l'opposé total du sien, dont le cuir marron était abimé par les années d'usure.
Après quelques minutes, Yra chercha le regard de sa sœur, et lui fit comprendre sans dire un mot ce qu'elle s'apprêtait à faire — et qu'il était temps pour elle de servir de distraction afin que personne ne se rende compte de son absence. Viola inclina légèrement la tête, et se mit à se plaindre d'une voix forte du manque de confort de la caravane, dans laquelle elle et Yra avaient eu le privilège de dormir jusqu'ici.
Yra se faufila à travers les arbres avec difficulté, les épines et branchages des hauts pins étant denses de ce côté-ci de la route — du côté qui n'était pas la Forêt Absolue.
Grace était déjà submergée jusqu'aux épaules dans le lac, la vapeur se dégageant de l'eau l'enveloppant et la cachant presque totalement à la vue d'Yra. La vapeur la cacherait, elle aussi — assez longtemps, elle l'espérait, pour retrouver le journal. À travers les émanations blanchâtres, Yra pouvait apercevoir que Grace se frottait les cheveux vigoureusement avec le liquide clair et visqueux qu'elle avait pressé hors des amomes sauvages qui se trouvaient au bord de l'eau. L'odeur de gingembre de la fleur embaumait l'air lourd et chaud.
Accroupie à moitié derrière les buissons, Yra s'approcha à pas feutrés de la berge, l'herbe sous ses pieds cédant peu à peu place aux galets opalins qui bordaient la rivière. Chaque rayon du soleil qui les caressait faisait danser sur leur surface laiteuse les nuances douces de l'océan. Certains étaient aussi limpides que l'antipathie de Grace envers elle ; d'autres, aussi opaques que son hypocrisie.
Grace avait laissé ses effets à découvert. Yra attendit qu'elle eut fini de se frotter les cheveux et eut plongé la tête sous l'eau pour bondir sur son sac laissé sans surveillance. Une gourde... des pinces pour les cheveux... une flasque ? Yra haussa les sourcils, surprise. Sa curiosité prit le dessus et elle dévissa le bouchon pour en renifler le contenu. Son nez se fronça sous l'odeur forte du naga.
« Qu'est-ce que tu fais ? » croassa Grace, causant à son cœur un bond désagréable dans sa poitrine. Elle avait sorti la tête de l'eau, et pataugeait furieusement vers la berge.
Yra referma la flasque et continua de fouiller le sac sans se démonter. « Ne t'en fais pas, je n'ai pas pour habitude de voler les gens — contrairement à toi. »
« Encore cette histoire ? » Grace, encore submergée dans l'eau, lui fit signe de se retourner afin qu'elle puisse s'habiller.
Yra leva les yeux au ciel en laissant tomber le sac sur les galets, et détourna le regard. Elle l'avait fouillé de fond en comble ; le journal n'était pas là.
Grace enfila ses vêtements et tira sur sa cape, qui était coincée sous les genoux d'Yra. Celle-ci manqua de perdre l'équilibre en se relevant, et réalisa avec agacement que la toile de son pantalon était trempée.
Grace enfila sa cape et essora ses cheveux châtains, son épaisse robe beige lui collant à la peau.
Elle va mourir de froid dès qu'on va revenir au campement, pensa Yra.
« Où est mon journal ? » dit-elle à la place.
Grace ignora sa question. « On ne vous apprend pas à respecter l'intimité des autres, à Bejon ? »
« On ne vous apprend pas à ne pas voler, à — » Yra s'interrompit, réalisant qu'elle n'avait aucune idée d'où Grace était originaire.
Elle avait passé tellement de temps avec la troupe ces derniers mois, mais n'avait jamais réellement pris le temps d'apprendre à les connaître — même pas Ian.
« Je ne t'ai rien volé ! J'ai gardé ton sac pour te rendre service. »
Avec ses grands yeux innocents, Grace aurait pu duper n'importe qui. Yra elle-même l'aurait sûrement cru, si elle n'avait pas été certaine de ce qui s'était passé.
« Tu es vraiment — »
Elle fut interrompue une nouvelle fois, mais cette fois pas par Grace. Un crissement strident retentit, lui glaçant les os encore davantage que l'air froid.
Les yeux exorbités, Grace demanda d'une voix tremblante, « Qu'est-ce que c'était ? »
Yra fouilla les alentours du regard. « Aucune idée. »
Un nouveau cri s'éleva, encore plus aigu que le précédent, et semblait presque... plaintif ? Il provenait des buissons à une quinzaine de mètres de là, à moitié dissimulés par la vapeur de la rivière.
Grace se cacha lâchement derrière elle, la poussant vers l'avant. « Va voir. »
Yra lui jeta un regard irrité, mais un nouveau râle attira son attention. Elle avança d'un pas prudent, autant par appréhension que pour éviter de glisser sur les galets. Une respiration sifflante et saccadée se faisait entendre à mesure qu'elle approchait des buissons.
Elle s'arrêta à quelque pas, observant d'un air perplexe ce qui dépassait de derrière les feuillages. Une queue de poisson de plus d'un mètre, aux écailles d'un turquoise vibrant, s'agitait sur le sol, envoyant voler quelques galets opalins à chaque coup. Yra la contourna pour constater quel genre de poisson possédait une queue aussi énorme — et était capable de pousser des cris aussi assourdissants.
Son souffle se coupa, un mélange d'émerveillement et d'effroi lui enserrant la poitrine.
À l'extrémité supérieure de la queue turquoise se trouvait un torse humain — féminin. De longs cheveux, d'un bleu plus foncé que celui de la queue, cachaient modestement une poitrine menue. Des plaques écailleuses étincelantes parsemaient la partie supérieure de son corps par endroit, là où la peau semblait autrement aussi ordinaire que la sienne.
Une Syren se trouvait devant elle.
Et elle était blessée.
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Je devais poster ce chapitre hier, mais j'ai été super malade ces derniers jours donc c'était compliqué :/
J'espère que l'histoire vous plait toujours, n'hésitez pas à voter et à me laisser un petit commentaire si c'est le cas, ça fait toujours plaisir ^^
J'ai très envie de savoir ce que vous pensez du développement de l'histoire !
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Un Coeur d'Ombres et de Lumière
Fantasy« Faire confiance à un Immortel c'est comme tendre ton cou à un lion; tu peux espérer qu'il ne fera que le renifler, mais tous ses instincts lui hurlent d'y planter ses crocs. » Yra déteste la magie presque autant qu'elle se déteste elle-même. Marqu...