Une bague de cette importance aurait dû être mieux protégée que ça ; Deric était peut-être complètement détraqué, mais il ne lui avait pas paru idiot. Elle avait lentement fermé la porte grinçante derrière elle, et boité péniblement jusqu'au centre de la pièce en jetant des coups d'œil circulaire, au cas où quelque chose — ou quelqu'un — surgirait brusquement. Mais rien.
La brute ne s'était pas manifestée malgré tout le vacarme que son altercation avec Deric avait provoqué.
La chambre était faiblement éclairée par la lueur de la lune. Elle était à l'image du reste de la maison ; froide, humide, et sans âme. L'air y était un peu moins lourd qu'à l'étage du dessous ; bien que sa difficulté à y respirer résultait probablement davantage du monstre qui s'y trouvait que de l'odeur de renfermé.
Une brise glacée la fit frissonner. Une fine pluie battait toujours dehors. Quelques gouttes martelaient le sol de la chambre, formant une petite flaque sous la fenêtre entrouverte.
Elle devait absolument retirer ce bout de verre de sa cuisse avant que la douleur ne lui fasse perdre la tête. Elle s'installa sur le lit froid avec un geignement à peine retenu et examina la plaie en plissant les yeux. Un long morceau triangulaire était logé dans sa chair. Profondément.
Chaque millimètre retiré était une torture, comme si le bout de verre avait été trempé dans de l'acide et calcinait sa chair au passage. Qui aurait pensé qu'un morceau de vaisselle pouvait causer tellement de douleur ? Elle souffla par le nez, la mâchoire crispée, refusant de laisser le mal la dominer. Le sang gicla abondamment une fois l'éclat de verre retiré.
Elle déchira maladroitement l'ourlet de sa robe ensanglanté à l'aide de ses dents pour en faire un bandage de fortune. Le goût métallique du sang de Miranda lui donna envie de vomir, mais la main que Deric avait piétinée était encore trop endolorie pour qu'elle puisse s'en servir. Elle arrivait à peine à fermer les doigts.
Le secrétaire était contre le mur opposé au lit. Elle l'avait repéré immédiatement ; étroit, en bois foncé, un meuble des plus ordinaires. Yra fronça les sourcils. Deric n'avait pas l'air de bien se soucier de cette bague, pour la laisser aussi accessible. Pourtant, Zibara lui accordait une grande importance.
Ainsi que tout le royaume, si elle se fiait à ce qu'on leur avait appris à l'académie.
La bague d'Ilura faisait partie du Trésor de l'Alliance, les fameux objets enchantés offerts par les terres de Cym, Vesper et Kyel à Solis, après la guerre qui avait ravagé le continent. Une offrande de paix, une promesse que les contrées dominées par les Immortels, dotés de magie, ne l'utiliseraient plus jamais à l'encontre de leur voisin mortel.
Quelle blague. La magie ne serait peut-être pas utilisée sur le plan politique, mais ça n'empêchait pas les Immortels d'utiliser leurs avantages surnaturels au quotidien. Deric venait de tuer Miranda, et n'aurait pas hésité à la tuer, elle aussi, si son don n'était pas miraculeusement venu à sa rescousse. Elle ne se faisait pas d'illusion, le Vampyr ne ferait face à aucune conséquence pour son crime.
Yra se souvenait encore du visage grave de la vieille institutrice alors qu'elle leur expliquait la dangerosité de ces objets. La bague d'Ilura, offerte par le royaume de Vesper, dotait son porteur de la capacité de se téléporter, à tout endroit où il avait déjà mis les pieds auparavant. Une capacité que certains Vampyr possédaient naturellement. Le coven de Sorcières qui régnait sur Cym et les Fae de Kyel avaient également offert un objet précieux caractérisant la magie que possédait l'espèce dominante de leurs territoires.
Le trésor était censé être en sécurité au palais, à la capitale, son accès réservé à la famille royale. Mais Zibara avait été informée que la bague avait été dérobée et, d'une façon ou d'une autre, Deric en était devenu le propriétaire.
Pour une raison qui lui échappait, Zibara voulait cette bague. Et cette femme n'était pas du genre à laisser ce qu'elle voulait lui filer sous le nez. La Sorcière aurait pu se la procurer elle-même, certainement, mais Yra n'avait pas cherché plus loin lorsqu'elle lui avait proposé ce marché. Elle amènerait la bague à Zibara, et la dette de sa mère serait oubliée. Séléné seulement savait ce que Heida avait fait de tout cet or. Yra s'était retrouvée malgré elle à jouer la courtisane-voleuse pour réparer les pots cassés de sa mère.
Sauf que ce n'était pas qu'un jeu, et qu'elle avait manqué de se faire tuer.
Dès qu'elle inséra la clé dans la serrure du tiroir, la magie ronronna autour de ses doigts. La pièce n'était peut-être pas protégée, mais le tiroir l'était lui. Deric n'était pas si bête finalement.
La première chose sur laquelle son regard se posa fut un journal. Relativement petit, du genre qui pouvait tenir dans une poche, la reliure faite d'un matériel étrange qu'elle ne sut pas identifier. Elle le prit en main pour l'observer de plus près. Au touché, on aurait dit du cuir, mais ça ne ressemblait à aucun type de cuir qu'Yra avait pu voir auparavant. D'un blanc grisâtre presque translucide, la couverture était traversée de stries noires, fines et irrégulières. Le plus étrange était que les veines — parce que ça ne pouvait être que ça — semblaient presque pulser contre ses mains, se mouver imperceptiblement, comme si le sang de la créature qui avait servie à fabriquer ce journal y respirait toujours. Mais dans l'obscurité de la chambre, elle ne pouvait être certaine de rien.
Un motif était gravé au centre de la couverture : une forme ovale étirée horizontalement, en pointe aux extrémités. Du bout des doigts, elle caressa l'objet, mue d'une fascination qu'elle n'aurait su expliquer. Elle déverrouilla le fermoir doré et fit virevolter les pages ; toutes vierges, aucune trace d'encre ne les entachait. Étrange.
La bague était là, elle aussi, jetée au fond du compartiment. Un simple anneau, d'un noir si profond qu'il semblait avaler toute lumière qui tentait de s'y refléter. Le métal — s'il s'agissait bien de métal — était d'un froid mordant. La dentelle de ses gants ne faisait rien pour l'en protéger. Yra s'était attendue à un bijou d'apparence plus onéreuse, fait d'or ou encore serti de pierres précieuses. Un sourire désabusé étira ses lèvres. Tout ce cirque pour ça, comme avait dit le monstre. Mais elle savait que la valeur de la bague n'était pas monétaire — même si elle aurait certainement pu se revendre à bon prix.
Des pas lourds et rapides retentirent dans le couloir ; les murs tremblèrent comme si un tremblement de terre secouait la demeure. Elle virevolta d'un saut vers la porte close. La panique enserra sa poitrine aux grognements haletants qui résonnèrent de l'autre côté.
La brute ne devait pas être loin.
Elle enfila précipitamment la bague à son doigt, récitant mentalement les instructions que Zibara lui avait transmises plus tôt. Les paupières serrées, elle visualisa la silhouette inquiétante du manoir de Hollow Stone, et affirma sa volonté de s'y rendre.
Elle ouvrit un œil, le mince espoir de se trouver devant la résidence de la Sorcière lui tenaillant le ventre.
Une boule se forma dans sa gorge. Elle était toujours chez Deric.
Yra regarda autour d'elle en jurant entre ses dents, le cœur battant à tout rompre.
La poignée de porte frémit.
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Un gros gros merci à tous ceux qui me soutiennent à chaque chapitre, ça me touche énormément ! À très vite pour la suite.
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Un Coeur d'Ombres et de Lumière
Fantasía« Faire confiance à un Immortel c'est comme tendre ton cou à un lion; tu peux espérer qu'il ne fera que le renifler, mais tous ses instincts lui hurlent d'y planter ses crocs. » Yra déteste la magie presque autant qu'elle se déteste elle-même. Marqu...