Chapitre 3

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Héphasie était mouchée par tant d'impudence. Ce freluquet se pensait donc tout permis ! Certes, elle était dans un bordel, donc elle comprenait qu'il pût l'avoir confondue avec une prostituée... Mais n'avait-il donc aucune considération pour ces femmes ? N'étaient-elles pas aussi des êtres humains, dotés du droit de dire « oui » ou « non » ?

Tout allait trop vite pour elle. Le temps de comprendre la méprise de cet homme, celui-ci l'avait déjà chargée sur son épaule comme un sac de pommes de terre. Et le temps de reprendre ses esprits, une fois balancée comme ledit sac de pommes de terre sur le lit, il avait enlevé sa chemise. À présent, elle le dévisageait ouvertement, n'ayant jamais vu de mâle ainsi dénudé. Malgré son intérêt artistique pour le torse sculptural de ce beau spécimen, la peintresse protesta faiblement :

— Q-que faites-vous ?

Ce à quoi ce malotru répondit, sur un ton dégoulinant qui acheva de la sortir de ses gonds :

— Je me déshabille pour mieux vous faire l'amour.

Il ressemblait à un ange de la mort prêt à la faucher, avec ses épais cheveux bouclés, noirs comme la nuit, et ses yeux marrons tout aussi sombres. Ses traits, durs, paraissaient gravés dans le marbre. Mais Héphasie devait reconnaître qu'elle aimait beaucoup sa mâchoire carrée...

Il la surplombait largement : sans doute mesurait-il un mètre quatre-vingt-dix. Elle qui n'atteignait pas le mètre soixante se sentait minuscule, en comparaison. D'autant plus qu'il se dégageait de lui une sensation de force, à la fois rassurante et effrayante.

La jeune femme se ressaisit : elle devait absolument partir avant que l'irréparable ne se produisît. Elle se redressa tant bien que mal et avança à quatre pattes sur le lit dans le but de rejoindre le côté gauche, le plus près de la porte.

En voyant son manège, la créature déchue éclata d'un rire sonore et rocailleux qui la fit frémir.

— Pourquoi fuyez-vous donc ? l'interrogea-t-il après avoir recouvré son calme.

Héphasie hésita. Elle pouvait lui dire la vérité maintenant, et il la laisserait tranquille. Mais elle passerait alors à côté de l'occasion qu'il lui offrait d'échapper au mariage, puisqu'il ne consentirait jamais à l'épouser après lui avoir pris sa virginité. Et une petite part d'elle, elle l'avouait, désirait découvrir ce que l'on ressentait, nue sous un regard aussi pénétrant, et plein d'un désir nouveau pour elle. On ne la contemplait jamais ainsi, et elle se sentait soudain dotée d'une puissance de séduction insoupçonnée. De plus, elle devait reconnaître qu'il était terriblement beau.

Une illumination lui vint soudain en se rappelant sa question : « combien ? »

— Vous m'avez demandé mon prix, fit-elle en se levant. Vous devrez poser pour moi. Nu. La semaine prochaine, à quinze heures. Vous recevrez votre dû le mercredi suivant cette séance, à la même heure.

Son audace la surprit elle-même. Cependant, il lui sembla que c'était la chose à faire. Elle n'aurait plus jamais l'occasion de dessiner un si beau spécimen, et conserver sa virginité n'avait pas vraiment de sens à ses yeux. Elle trouvait cet homme désirable, et il ferait tout aussi bien l'affaire que le vieux mari croulant qu'on lui désignerait sûrement. L'acte se révélerait sans doute plus agréable.

Son interlocuteur grogna, probablement à cause du délai qu'Héphasie lui imposait. Toutefois, elle ne pouvait rester plus longtemps sans éveiller les soupçons, et avait besoin de se préparer à cette perspective. Dans deux semaines, elle serait disposée à lui offrir ce qu'il désirait. Du moins l'espérait-elle.

— Pourquoi devrais-je attendre ? riposta-t-il effectivement. Et pourquoi ne pas faire ce portrait après que je vous ai prise ?

— C'est une assurance, avoua-t-elle en toute bonne foi. Et cela me permettra de m'habituer à vous. Vous... m'intimidez quelque peu.

Cette révélation lui coûtait, mais elle devinait qu'elle l'apaiserait.

Elle ne se trompait pas : il grogna encore, mais s'en tint là, vaincu. Un silence pesant s'établit ensuite, pendant lequel ils se jaugèrent. L'ange ténébreux réfléchissait visiblement. Quant à Héphasie, elle sentait son cœur battre la chamade, et tâchait de demeurer imperturbable, en apparence tout du moins.

— Je veux aussi une garantie, finit par déclarer l'homme.

Il passa ses doigts sur ses lèvres, l'œil lubrique.

— Un baiser, exigea-t-il. Maintenant.

Une vierge au bordelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant