— Quoi ! Il t'a... là... ? s'assura Iris, les yeux écarquillés de stupeur.
Héphasie hocha énergiquement la tête.
— Oui, et moi, j'ai...
La jolie rousse posa la main devant sa bouche grande ouverte.
— Et c'était... agréable ? reprit-elle, désirant connaître tous les détails croustillants.
La peintresse laissa le silence s'installer un instant pour ménager son effet.
— En fait, c'était divinement bon.
Iris poussa un petit cri aigu, visiblement enchantée par son récit. Diane, quant à elle, demeurait silencieuse, ce qui inquiétait Héphasie.
— Tu penses que je suis folle ? lui demanda-t-elle en concentrant sur elle toute son attention, car son avis comptait pour elle.
La dangereuse lanceuse de couteaux réfléchit un instant avant de répondre :
— Les hommes prennent toujours leur plaisir sans qu'on le leur reproche. J'estime qu'une femme y a tout autant droit. Il est ridicule que l'on doive se préserver pour notre mari quand celui-ci vadrouille dans les bordels avant, et parfois même après la cérémonie. Tu méritais cet orgasme. Mais fais attention à toi. Tu sais ce que je pense du fameux « sexe fort ». Ne laisse pas ton Alex te manipuler. Même s'il dérobe ton cœur, tu dois t'assurer qu'il te respecte. Sans cela, il ne te mérite pas.
Ses deux camarades demeurèrent bouche bée face à tant d'éloquence. Iris se permit quelques applaudissements, et Héphasie retint une larme.
— Merci, dit-elle simplement en posant sa main sur celle de Diane.
Se confier lui procurait le plus grand bien, d'autant plus que la réaction de ses amies était encourageante. Elle n'avait rien fait de mal, ou du moins s'en persuadait-elle mieux que la veille. Elle avait de la chance de les avoir.
— Et toi, Iris, comment as-tu occupé ton temps cette semaine ? relança Héphasie, son émotion passée.
— Vous vous rappelez le coffre dont je vous ai parlé l'autre jour ?
Les jeunes femmes acquiescèrent vivement.
— J'ai décidé de l'ouvrir. Peut-être y découvrirai-je quelque chose d'important. Je m'essaie donc au crochetage de serrure quand personne ne me prête attention. Saviez-vous que nos épingles sont terriblement efficaces, et pratiques, avec ça ? Nul besoin de traîner avec soi tout l'attirail du bon petit cambrioleur quand on est une femme. Un chignon, et le tour est joué.
Diane siffla, l'air sincèrement impressionné.
— Tu pourrais véritablement devenir une bonne voleuse, entre ta capacité surhumaine à grimper aux arbres et ta manière de te déplacer sans bruit et sans encombre, même dans le noir. Tu possèdes des yeux de chat.
Héphasie songea qu'elle disait vrai. Iris semblait née pour subtiliser des trésors. Or, cette idée ne manquait pas de piquant. Elle ne put cependant s'empêcher de donner à la conversation un tour plus léger :
— Quand tu seras passée experte en la matière, tu iras récupérer ce pauvre Bobby. Je suis certaine que c'est le jardinier d'à côté qui m'a pris mon soldat en bois, il louchait toujours dessus quand je sortais à son bras.
— Je suis persuadée qu'il préfère s'occuper de son amante. Bobby est perdu à jamais dans quelque tiroir obscur, déplora la brune en secouant la tête.
— Boooobbyyyyyy ! cria Iris d'un ton larmoyant, faisant mine d'être déchirée par sa perte.
— Tais-toi donc avant que mère ne nous localise, implora l'artiste du groupe. Elle ne cesse de me parler du duc que je vais épouser, ces derniers temps. Je crois que je vais bientôt le rencontrer.
— Quelle horreur... marmonna Diane, compatissante.
Quant au singe de service, n'aimant rien tant que les ragots, il chouina de plus belle, dans l'espoir d'être entendu. Face à cette situation d'urgence, la brune et la blonde se consultèrent du regard, puis sautèrent de conserve sur la traîtresse pour lui imposer le silence.
Ce fut peine perdue : une fenêtre donnant sur le jardin s'ouvrait déjà à l'étage, la mère d'Héphasie s'y penchant largement pour les apercevoir et être entendue.
— Ma chère fille, vous n'y échapperez pas ! hurla-t-elle avec son énergie coutumière. Je vous traînerai demain chez la modiste, où l'on vous confectionnera une robe mirifique pour faire oublier votre sale caractère à votre promis. Vous le rencontrerez au bal donné par Madame Lion la semaine prochaine et vous vous montrerez affable, ou je vous jure de remplacer votre peinture par de l'eau.
Elle disparut comme un ouragan tandis que l'artiste posait sa tête sur la table, au désespoir.
— Je ne sais pas si ta mère me fait peur ou si elle m'impressionne, commenta Diane.
— Eh bien, moi, elle m'exaspère, voilà tout, geignit Héphasie.
— Oh, ça, je n'en doute pas, répliqua son interlocutrice. Elle est tellement perfectionniste que vous y passerez certainement la journée. Je te souhaite bon courage.
Iris, fidèle à elle-même, rétorqua :
— On n'a rien sans rien. Les méthodes de ta mère sont si efficaces que je parierais volontiers qu'on ne verra que toi à ce bal. Je garde un souvenir jaloux de ta toilette arc-en-ciel.
— Par pitié ! J'avais presque réussi à oublier cette horreur, répliqua la principale concernée en se cachant les yeux.
— Ne te voile pas la face, renchérit Diane. Personne n'oubliera jamais ce moment. Il est gravé dans l'histoire de la mode comme la meilleure démonstration de mauvais goût jamais réalisée. Mais console-toi ainsi : puisque tu ne veux pas séduire ton futur mari, ta mère sera ta meilleure alliée. Bien malgré elle.
À ces sages paroles, Héphasie fit tout de même retomber sa tête sur la table, bien décidée à demeurer cachée des vivants pour le restant de ses jours.
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Une vierge au bordel
Historical FictionHéphasie n'aime rien tant que dessiner. Déterminée à progresser, elle se rend régulièrement au bordel pour exercer son art, certaines prostituées acceptant d'y poser nues. Cependant, son mépris des convenances pourrait lui porter préjudice, d'autant...