Chapitre 20

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Héphasie songeait toujours à la passion qui sous-tendait ses rapports avec Alex. Ressentait-elle vraiment de l'amour, ou n'était-ce qu'une illusion causée par leurs moments de volupté ?


À philosopher ainsi, elle se perdait toujours davantage. Après tout, l'amour n'était-il pas une vaste illusion ? N'était-ce pas seulement la preuve de notre égocentrisme, la volonté de soulager notre orgueil à travers les yeux d'une autre personne, à laquelle on rendait le même service ?


Elle soupira dans son lit. Assurément, elle s'enfonçait. Remettre en cause ce sentiment en son entier ne lui apporterait pas les réponses à ses innombrables questions.


La jeune femme se leva pour éviter que son monologue intérieure ne la rendît folle. Elle devait bouger pour se changer les idées.


L'invitation de Diane chez elle tombait à merveille. Voir ses amies la détendrait et lui permettrait sans doute d'éclaircir ses pensées embrouillées.


Elle sauta l'étape du petit-déjeuner, son estomac entravé par l'angoisse protestant à la seule évocation de la nourriture. Son carnet, posé sur une table près de la fenêtre, et éclairé par la lumière du soleil de telle sorte que la peintresse crut à un appel divin, l'attira malgré elle. Cela faisait un bon moment qu'elle n'avait dessiné, trop obnubilée par le duc d'Albufera pour oser remettre la main à la pâte. Elle se saisit donc de l'objet, souhaitant renouer avec sa passion pour la matinée, qui promettait sans cela de s'étendre en longueur.



Alex, Alex, et encore Alex ! Sa main l'avait guidée, et c'était lui, toujours, qui la dévisageait depuis le papier. Cela confinait à l'obsession ! Si cela ne lui suffisait pas pour se convaincre de la véracité de son amour, elle ignorait ce qu'il lui fallait de plus.


Comment vivre sans lui, à présent qu'il était à jamais gravé dans sa mémoire et qu'il lui apparaissait à chaque instant du jour et de la nuit ? Il ne la quitterait jamais, tandis qu'elle fuirait en vain son image chérie.


La seule solution était d'accepter sa proposition. Il lui ferait sans doute encore du mal. Elle savait qu'elle ne pouvait lui faire entièrement confiance après les événements du bordel. Mais essayer ne serait-il pas préférable ?


Sa décision était prise. Elle ne lui accorderait pas sa main de suite. Il devrait d'abord la courtiser dans les formes, comme tout bon gentleman qui se respectait. S'il était capable de réfréner ses pulsions, peut-être pourrait-elle deviner sous le séducteur amateur du bordel le véritable Alexandre Lion.


À présent, la question était de savoir quand elle le croiserait... Mais laisser les choses se faire naturellement serait probablement mieux pour tous les deux. Héphasie avait besoin de temps, et courir après le jeune homme ne semblait donc pas la solution idoine.


L'artiste, sur cette entrefaite, consulta l'horloge. Il était temps qu'elle se rendît chez Diane.



Quand elle arriva au dix-sept rue des camélias, Hortense était déjà présente. Malgré sa capacité improbable à se perdre même dans les endroits qu'elle connaissait parfaitement, elle faisait toujours en sorte d'arriver en avance partout où elle allait. Pour ce faire, elle partait parfois bien trop tôt. Iris, plus dissipée, venait souvent avec du retard.


— Comment allez-vous ? les interrogea la peintresse.


— C'est à nous de te poser cette question, glissa Diane avec son manque de tact coutumier.


— Je vais bien, répondit-elle avec sincérité. Vraiment.


Elle ajouta ce dernier mot à la vue des mines sceptiques des deux jeunes femmes, et reprit, sachant que des explications étaient de mise :


— Je ne peux pas l'oublier ainsi. Je l'aime, vous savez.


Son auditoire hocha la tête compulsivement, pendu à ses lèvres.


—J'ai donc décidé de lui laisser une chance. Je vais lui proposer de me courtiser dans les formes, pour que nous apprenions à nous connaître. Si jamais il n'est pas celui que j'espérais, au moins n'aurai-je pas de regrets...


L'archère, pourtant la plus prompte de leur petit cercle à dénigrer les hommes, loua ce parti pris :


— Cela me paraît être une bonne idée. N'oublie surtout pas le principal et prends ta décision en fonction : tu es ce qui compte le plus. Pense à toi avant tout.


Hortense les fixa intensément, de cette manière si propre à elle, avec un air de profonde concentration qui faisait briller ses yeux d'une lueur d'intelligence ineffable. Son silence parlait davantage : elle se contenta donc d'assurer Héphasie de son soutien avec toute la chaleur de son cœur si tendre. Elles s'enlacèrent toutes trois brièvement et déplorèrent l'absence d'Iris.


— Le loup surgit toujours quand on parle de lui ! s'exclama la principale concernée en rejoignant leur étreinte d'un bond énergique.


— Tu es en retard, la tança ironiquement Diane.


— Vraiment ? Moi, je pense que je suis arrivée pile au bon moment.


— C'est vrai, lui concéda gentiment la jeune femme la plus maladroite d'entre elles.


La retardataire s'enquit des dernières nouvelles. La peintresse renouvela l'aveu de ses intentions à l'égard de l'être cher à son cœur.


— Oh, comme je suis heureuse ! s'écria leur fougueuse amie. Il n'y a rien de plus adorable – ni de plus distrayant pour les commères comme moi – qu'un nouveau couple. Je vais faire en sorte que cette histoire finisse scellée sur l'autel de l'amour.


Hortense rit mais protesta tout de même : les choses ne fonctionnaient pas ainsi !

Diane se racla la gorge pour obtenir leur attention, l'air embêté.

—J'ai une annonce à vous faire. Elle risque de ne pas te plaire... ajouta-t-elle en fixant Héphasie d'un air contrit.

Cette dernière sentit poindre en elle une note d'inquiétude.

— Qu'y a-t-il ? la pressa-t-elle.

Leur hôtesse dansa d'un pied sur l'autre, ne sachant comment aborder la question. Elle opta finalement pour sa méthode habituelle, l'honnêteté sans filtre, qui lui valait de nombreuses inimitiés :

— Ton duc devrait nous rejoindre d'ici trente minutes.

Hortense sourit doucement tandis qu'Iris poussait des cris d'orfraie. Quant à Héphasie, elle pâlit, puis partit d'un éclat de rire fou.

— Eh bien, voilà l'occasion que j'attendais !

Une vierge au bordelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant