Chapitre 9

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 La semaine passa à toute allure. Les essayages chez la modiste occupèrent la plupart du temps d'Héphasie, et lorsqu'elle replongeait dans ses pensées, faute de mouvement, ses amies finissaient toujours par la secourir.

Le mercredi arriva. La jeune femme avait prétexté avoir déjà des obligations auprès d'Iris et de Diane, qui la couvrirent volontiers, ce qui lui évita de rater son rendez-vous à cause des folies matrimoniales de sa mère.

Cette fois-ci, elle fit davantage attention à son apparence : elle choisit la robe de jour qui la flattait le plus, d'un beau violet qui allait à merveille avec la blondeur de sa chevelure, et que peu de dames osaient porter. C'était aussi celle au décolleté le moins sage, puisqu'on pouvait entrapercevoir le renflement de ses seins. Héphasie, en général, ne se montrait guère coquette, mais elle ressentait le besoin de plaire à Alex. Celui-ci serait-il affolé par la vue de ses charmes ? Elle se rappelait les délicieuses caresses qu'il lui avait prodiguées, et se demandait si lui révéler autant de chair n'était pas l'appeler délibérément au péché... Elle devenait hardie à son contact, constata-t-elle, à la fois étonnée et fière. Elle se sentait femme.

Devant la porte du bordel, elle songea qu'ils ne s'étaient pas donné de lieu de rendez-vous précis, et elle commença de s'inquiéter. Et s'ils se manquaient ? Elle ne dormait plus la nuit, alors ne pas se voir, à ce stade, s'avérerait fortement décevant.

Dans le hall, Héphasie s'interrogea : devait-elle attendre le jeune homme ici ? Ils ne pourraient pas se rater... à moins qu'il fût arrivé avant elle. Il était déjà quinze heures dix, la peintresse ayant d'abord dû déposer sa dame de compagnie après avoir bataillé avec sa mère pour qu'elle n'ajoutât pas des plumes d'oies sur l'intégralité de sa robe de bal. Cette guerre durait souvent, les deux femmes étant aussi têtues l'une que l'autre. Mais Héphasie l'emporta finalement en consentant à sacrifier quelques précieuses minutes.

L'artiste fouilla les lieux du regard, mais, n'apercevant décidément pas Alex, elle se résolut à le chercher à l'étage où elle devinait qu'il serait sûrement, puisque c'était là qu'il l'avait menée, la dernière fois.

Elle ne se trompait pas : la même porte était ouverte, et elle songea qu'il ne s'agissait pas d'un signe du destin, mais sans doute d'une demande implicite de son ange ténébreux. Il espérait ainsi, comprit-elle, la rassurer. Elle jeta à l'intérieur de la pièce un coup d'œil qu'elle espéra discret, mais qui manqua la faire choir quand elle aperçut Alex, ce qui lui valut un sourire amusé de sa part.

La nervosité d'Héphasie s'évapora soudainement, et elle lui donna en réponse un regard malicieux, qui signifiait qu'il était le complice secret de cet instant gênant. Elle pénétra dans la chambre d'une démarche assurée, tandis que son partenaire se levait du fauteuil où il s'était assis pour patienter. Elle s'arrêta devant lui et, galant, il lui prit la main pour la baiser, mais s'attarda un peu trop pour un gentleman...

— Comment allez-vous ? demanda-t-il alors qu'une étincelle dansait au fond de ses yeux sombres.

— Très bien, et vous-même ? s'enquit poliment Héphasie.

Il hocha la tête, et la peintresse pensa que cette conversation aux airs mondains, donnée dans un bordel, ressemblait fortement à une vaste blague. Mais elle était agréable, et c'était tout ce qui comptait.

— Est-ce donc là votre matériel ? l'interrogea Alex en désignant l'attirail qu'elle portait sous son bras.

— Oui, et la maîtresse des lieux me prête volontiers un chevalet, qu'elle laisse généralement entreposé en bas.

— Venez, allons le chercher, l'enjoignit-il en saisissant spontanément sa main, ce qui mit à mal la marche normale du cœur de sa compagne.

Ils revinrent vite et la jeune femme indiqua le lit à son modèle.

— Je vous laisse vous déshabiller et prendre une pose confortable, je vous dessinerai au naturel.

Sa manière quelque peu professionnelle de lui parler parut amuser Alexandre.

— Vous n'êtes visiblement pas venue pour profiter de mon esprit, déplora-t-il. Mais j'apprécie les femmes qui savent ce qu'elles veulent.

Il la parcourut d'un regard brûlant qui la fit frissonner.

— Moi, en tout cas, je sais ce que je veux, ajouta-t-il en la sentant trembler, conscient de l'effet qu'il avait sur elle.

— J'en suis heureuse pour vous, parvint-elle à répondre d'un ton badin, même si elle comprenait parfaitement l'allusion et qu'elle voyait bien qu'elle ne dupait personne.

Sans cesser de la regarder, le jeune homme retira sa chemise avec une lenteur exaspérante. Héphasie se rendit compte qu'elle retenait son souffle : sa curiosité la dévorait. Elle découvrit bientôt un torse et des bras aussi musclés que dans son imagination. Mais son esprit pernicieux reprit promptement le dessus : la peintresse suivit distraitement le chemin de poils qui menait directement au sexe, toujours dissimulé, d'Alex. Elle le fixait comme si son pantalon pouvait fondre par la force de sa pensée, pressée de découvrir ce à quoi ressemblait l'organe génital masculin lorsqu'il n'était pas gravé dans la pierre ou dessiné sur une feuille.

Son compagnon, conscient de son intérêt, faisait durer le plaisir : il passa ses pouces derrière l'habit et laissa ses doigts pendre à l'extérieur, dans une posture détachée irrésistible. Héphasie déglutit péniblement.

C'est alors qu'Alexandre lui posa l'ultimatum suivant, son regard errant sur sa poitrine mise en valeur par le décolleté de sa robe :

— Je ne poserai entièrement nu que si vous vous déshabillez également.

Une vierge au bordelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant