Chapitre 26

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Héphasie peinait à comprendre la situation. Elle vivait un moment merveilleux entre les bras d'Alex, et l'instant d'après, celui-ci la demandait en mariage devant une foule un peu trop dense à son goût. Mais cela signifiait qu'il avait ressenti la même chose qu'elle, et cela bouleversait encore toutes ses certitudes. L'envie de dire oui avait été forte. Et quand elle s'était finalement décidée à suivre son intuition, la voix lui avait manqué, tant l'émotion la saisissait.

Alors, tout était parti à vau-l'eau. Le duc avait pris la poudre d'escampette, probablement vexé à mort par sa réponse qui ne venait pas, et la jeune femme avait dû se confronter à une marée de commères indiscrètes. Elle avait voulu rejoindre au plus vite son prétendant pour éclaircir la situation, mais il aurait pour cela fallu qu'elle fît montre d'un manque de bienséance terrible à l'égard de ceux qui l'avaient accostée – certes de manière absolument malpolie, mais ce n'était pas une raison pour les imiter.

Puis des gêneurs plus encombrants encore l'avaient assaillie : ses trois amies, ainsi que ses parents, avaient surgi tels de beaux diables pour la cuisiner.

— Pourquoi n'as-tu rien répondu ? Oh, comme c'est romantique ! s'était exclamée Iris avec son fidèle manque d'à propos.

— Tu vas bien ? avait enchéri Hortense, sensible à sa détresse.

— Je...

Là encore, les mots lui avaient manqué : les événements s'étaient déroulés trop vite, et tout ce bruit lui donnait la migraine. Elle était donc sortie pour échapper à toute cette agitation en expliquant son mal, courant presque pour éviter d'éventuels nouveaux interlocuteurs un peu trop curieux.

À présent, elle se trouvait derrière Alex. Ce dernier semblait regarder les étoiles : il levait la tête vers le ciel. La peintresse devinait qu'il savait que c'était elle qui avait interrompu sa solitude, et que c'était pour cette raison même qu'il ne se retournait pas. Il ne pouvait pas ne pas l'avoir entendue : ses doigts jouaient une danse nerveuse sur la balustrade. Ce cliquetis agaçait prodigieusement Héphasie, dont le cerveau s'était transformé en une étrange bouillie inefficace et douloureuse.

Elle s'approcha du duc d'Albufera, hésitante, et décida de se poster à son côté. Elle le regarda brièvement, puis suivit la trajectoire dessinée par ses yeux rendus entièrement noirs par la semi-obscurité. Elle croyait avoir trouvé leur point de mire : la lune, splendide dans sa plénitude. La jeune femme se retint de dévisager de nouveau son bon ami : elle devinait qu'il n'était pas dans son état normal, et ne désirait pas l'importuner pour éviter toute réaction démesurée.

Elle inspira un grand coup, puis se jeta à l'eau, en fixant une étoile lointaine pour se donner une contenance :

— Oui.

Alexandre sursauta violemment en entendant ce simple mot. D'étonnement ? « De joie », espéra secrètement l'artiste. La réaction de son interlocuteur, toutefois, lui révéla une toute autre réalité :

— Oui ? C'est tout ce que vous trouvez à dire après l'effort que j'ai fait ? éructa-t-il en se tournant vers elle, rouge de colère. Après que je me suis ridiculisé devant toute cette assemblée pour vos beaux yeux ? Après avoir été incapable de me répondre, car, assurément, je suis sans doute le plus repoussant des hommes pour vous, étant donné tout ce que j'ai fait ? Vous vous moquez de moi ! Combien de temps encore allez-vous faire semblant de vous intéresser à ma petite personne pour vous venger de l'affront que je vous ai fait subir ?

Héphasie ne fit aucun cas de ces propos, qu'elle savait dictés par l'angoisse et l'énervement. Elle préféra employer la méthode Lion pour parvenir à ses fins : elle entoura de ses doigts la cravate d'Alex au niveau du col pour éviter de l'étrangler, et l'attira à elle d'un coup sec. Elle aussi, elle pouvait le séduire pour lui faire tout oublier ! Il lui avait prouvé bien des fois qu'il était faible face à ses charmes, et elle comptait bien en profiter.

La peintresse se hissa sur la pointe des pieds, puis plaqua un baiser ardent sur la bouche dur, fermée à elle, du jeune homme. Voyant qu'il ne faiblissait et ne lui répondait toujours pas au bout d'interminables secondes, elle décida d'utiliser une nouvelle stratégie, d'autant plus qu'il ne l'avait pas entièrement repoussée : elle prenait cela comme un signe d'encouragement.

L'artiste s'employa à lécher les lèvres de son partenaire dans le but de le rendre fou et de l'obliger à lui laisser l'accès à sa bouche. Elle commença par s'activer aux commissures : elle titilla longuement cette zone, si proche du but ultime, mais si éloignée lorsque l'on brûlait d'un désir ardent... Puis elle prit soin de l'arc de cupidon en v d'Alex, qui attirait toujours son regard. Elle le mordilla délicatement et aspira goulûment la lèvre supérieure de son amant. Celui-ci se montrait cependant toujours aussi froid : il ne desserrait pas les dents d'un iota et ne participait aucunement. Il ne révélait même pas le moindre signe de faiblesse, qui aurait encouragé Héphasie dans son entreprise.

Frustrée, la jeune femme empoigna brusquement les fesses du duc à pleines mains pour coller son corps puissant au sien. Elle sentit alors, sans l'ombre d'un doute, le début d'une érection se presser conter son ventre. Son partenaire, qui avait compris son manège, choisit ce moment pour la repousser. Il voulait donc la persuader de son indifférence ! Eh bien, il avait échoué.

Les yeux ombrageux, le beau brun semblait prêt à briser le mur de son seul poing, ce qui inquiéta légèrement sa douce. N'en démordant pas, elle l'approcha toutefois de nouveau, se sachant à présent capable de le fléchir grâce à ses charmes. Pour se donner plus de chances, toutefois, elle usa d'un autre recours :

— Alex, je vous aime, déclara-t-elle sincèrement.

S'il pensait qu'elle se jouait de lui, alors l'aveu renouvelé de ses sentiments pourrait lui faire reconsidérer la question. Peut-être était-ce tout ce qu'il attendait, après lui avoir lui-même fait sa déclaration devant tous ces gens. Il doutait certainement, comme elle : les questions d'importance impliquaient toujours une angoisse déstabilisante, même pour les personnes les plus assurées.

Soudain, Héphasie se sentit poussée violemment contre la balustrade...

Une vierge au bordelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant