Héphasie connut un sommeil entrecoupé. Dans un premier temps, il lui fut impossible de s'endormir. Son esprit revenait toujours vers Alex et les sensations qu'il lui avait fait découvrir. Elle s'imaginait déjà leur prochaine rencontre : elle le verrait nu pendant des heures, et garderait la preuve de ces instants passés ensemble sur la toile. Quant à la semaine qui suivrait... eh bien, c'était elle qui retenait le plus ses pensées, à vrai dire, et cette constatation la rendait rouge de confusion.
Quand elle parvint finalement à trouver le repos, elle rêva qu'elle et Alex se retrouvaient au parc. S'ensuivait une balade des plus romantiques, qui les enfonçait toujours plus dans des recoins calmes des lieux. Arrivés à un petit ruisseau, Héphasie se munissait de ses crayons et de son carnet de croquis, tandis que son partenaire se déshabillait. Il pénétrait ainsi dans l'eau. L'onde aurait pu le cacher, mais seule la pointe de son sexe, même au plus profond de l'étang, disparaissait sous la surface. Puis la peintresse le rejoignait, et...
Elle se réveilla sans se rappeler la suite de son songe, mais sa main, posée sur son entrejambe, lui révéla que son innocence vaquait à présent au loin.
Toute la nuit durant, elle avait eu chaud comme en été, alors qu'elle se plaignait la veille de la fraîcheur de ce printemps. Au petit-déjeuner, elle avait été rappelée à l'ordre trois fois par sa mère, qui lui trouvait des airs de sotte – à raison.
Elle se réjouissait d'avoir invité en début de semaine ses deux meilleures amies à prendre le thé ce jour. Cette distraction sauverait son âme de la volupté, à laquelle elle s'abandonnait un peu trop volontiers depuis un certain épisode.
Diane et Iris arrivèrent à quinze heures. Avant cela, Héphasie tâcha de se distraire l'esprit en dessinant, mais croqua malgré elle un visage obombré par une luxuriante chevelure sombre... plusieurs fois, sous tous les angles possibles et imaginables. Bien sûr, elle n'omit pas son torse, digne des statues les plus imposantes, et se surprit à se mordre la lèvre en soupirant telle une mijaurée. Elle se reprocha sa naïveté : il ne s'agissait que de sexe, et cela ne durerait guère. Elle ne comprenait pas pourquoi elle se trouvait dans un tel état contemplatif pour quelque chose d'aussi trivial.
Ses invitées n'empêchèrent pas pour autant son esprit de s'égarer en partie, mais elle rit de bon cœur à leurs plaisanteries et aux singeries d'Iris, qui s'était mis en tête de grimper à l'arbre le plus haut du jardin pour espionner le jardinier de la maison d'à côté, qui contait fleurette à une servante. Bien sûr, la jeune femme s'exécuta et parvint à la cime d'un chêne : son agilité impressionnait Héphasie, et davantage encore Hortense, une autre de leurs amies qui profitait en ce moment de l'air de la campagne avec sa famille, et qui manquait tomber chaque fois qu'elle posait un pied devant elle.
Diane menaçait Iris de la faire descendre à coups de flèches, pressée de goûter à la collation qui reposait sagement sur une petite table ronde du jardin, parfaite pour cette occasion informelle. Le prénom de la déesse chasseresse seyait parfaitement à son amie : elle haïssait les hommes, protégeait ses compagnes avec ferveur, et était quelque peu... dangereuse, une fois armée. Quant à sa langue, elle l'affûtait autant que ses couteaux : elle décochait toujours les piques les plus terribles, et donc, évidemment, les plus drôles.
Une fois attablées, elles dévorèrent comme de beaux diables les langues de chat, le cake et les muffins confectionnés par la cuisinière. Quand elles furent peu ou prou rassasiées, elles se tinrent informées des derniers potins, puis de leurs aventures respectives.
— Mon frère Gregory m'a emmenée tirer l'autre jour, raconta Diane, mais comme il en avait assez de perdre, il m'a suppliée de lui laisser un avantage. Ce que j'ai fait, car je suis bonne joueuse.
— Et quoi ? Qu'as-tu fait ? la pressa Iris, au comble de la curiosité.
— J'ai dérobé l'argenterie pendant que maman courait après Gregory – il la tenait occupée, vous comprenez. Mon frère a donc utilisé son fusil pour atteindre la cible, et moi, des couteaux.
Son auditoire éclata de rire.
— Diane, tu es terrible ! s'exclama Héphasie. As-tu enfin perdu ?
— Cela, je ne peux pas le croire répliqua aussitôt Iris, ses yeux verts pétillant. Elle gagnerait même avec des couteaux à beurre.
Leur amie renversa la tête en arrière, mettant en péril l'équilibre d'un chignon particulièrement savant. Une mèche de cheveux brune en profita d'ailleurs pour s'échapper, et elle la replaça machinalement derrière son oreille.
— Vous me connaissez si bien ! Évidemment, je l'ai emporté haut la main. Je ne parlerai pas de mon premier essai, en revanche. J'ai peur d'avoir eu honte de ma performance pour la première fois de ma vie. Il me manquait au moins cinq centimètres pour toucher le centre, gémit-elle comme s'il s'agissait véritablement d'une déconfiture.
— Tiens, noie donc ton chagrin dans le sucre, dit la peintresse en lui tendant le dernier gâteau. Tu le mérites.
— Vous êtes les meilleures amies que la Terre ait jamais portées, sachez-le, répondit-elle avec la bouche pleine.
— Tu baves ! s'égosilla Iris, hilare.
— C'est faux ! s'insurgea Diane en postillonnant.
Quand les deux jeunes femmes parvinrent finalement à recouvrer leur calme et leurs manières irréprochables, elles s'enquirent de la semaine d'Héphasie, qui attendait et redoutait tout à la fois ce moment : ses amies l'aideraient à y voir plus clair, mais elle demeurait quelque peu gênée par les derniers événements.
— Vous n'allez pas en croire vos oreilles.
D'un air de conspiratrice, elle leur fit signe d'approcher, puis leur raconta tout, avec moult détails.
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Une vierge au bordel
Historical FictionHéphasie n'aime rien tant que dessiner. Déterminée à progresser, elle se rend régulièrement au bordel pour exercer son art, certaines prostituées acceptant d'y poser nues. Cependant, son mépris des convenances pourrait lui porter préjudice, d'autant...