Chapitre 30

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Alex pénétra dans la pièce d'un pas léger. L'étincelle qu'il vit s'allumer dans le regard de sa belle quand elle l'aperçut lui réchauffa aussitôt le cœur.

— Bonjour, mesdames ! s'exclama le jeune homme avec un allant qui révélait toute la joie que lui causait cette visite. Comment allez-vous ?

Violette lui retourna la question, puis embraya sur un sujet qui la taraudait sans cesse depuis la veille :

— Avez-vous une date en tête pour la cérémonie ? Si nous voulons que tout soit parfait, nous allons devoir y travailler dès maintenant.

Héphasie lança un regard de pure détresse au duc, qui l'inquiéta et l'amusa tout à la fois.

— J'aimerais que cela se fasse le plus tôt possible, répondit-il en fixant l'objet de son impatience.

Celui-ci rougit légèrement, probablement gêné par la présence d'une tierce personne dans la pièce. Peut-être se montrait-il trop familier, trop attaché à elle ? Leurs liens remontaient à bien peu de temps, surtout officiellement, et leur puissance pouvait donc étonner.

— Malheureusement, si le mariage a lieu trop tôt, nous devrons préparer un événement moins grandiose... déplora la mère de la peintresse. Ne trouvez-vous pas cela dommage ?

— Pas le moins du monde, rétorqua Alex, qui n'en avait cure.

La politesse aurait voulu qu'il allât en son sens et ne se montrât pas si péremptoire, mais après tout, il était question de son avenir.

— Je suis d'accord, intervint sa promise. Nul n'est besoin de déployer tant de faste. Un instant plus intime sera, selon moi, bien plus agréable.

Madame Rouet marmonna une réponse incompréhensible, visiblement déçue. Puis, se rappelant soudain de quelque chose, elle les prévint :

— J'ai préparé une liste pour organiser mes premières idées. Cela nous aidera à y voir plus clair. Je m'en vais la chercher de ce pas !

Et elle les laissa là, sans chaperon, tellement préoccupée par l'événement qu'elle en oubliait la bienséance. Alex espéra que ce papier se trouvait loin : il n'allait pas se priver d'un instant de solitude avec l'élue de son cœur...

Il s'approcha à pas de loup d'Héphasie, dont le regard brillant indiquait qu'elle avait bien compris ses intentions et les partageait.

— Tu m'as manqué, mon ange.

Elle ouvrit la bouche en l'entendant la tutoyer ainsi.

— Ce n'est pas convenable ! se récria-t-elle, l'air offusqué.

— Je ne peux donc pas témoigner mon affection à ma femme ? répliqua Alex, joueur.

— Je ne suis pas encore votre femme, remarqua-t-elle.

— Mais tu le seras bientôt, susurra le duc en se penchant dangereusement près de son oreille.

La peintresse hoqueta délicieusement, ce que le jeune homme prit pour un signal encourageant : il commença de lui lécher le lobe, puis le mordilla délicatement.

— Devrais-je arrêter ? suggéra-t-il en marquant une pause. C'est inconvenant, après tout...

Les yeux perdus et voilés, son amante se rétracta :

— Tant que personne ne nous voit ou ne nous entend, j'imagine que nous pouvons bien nous tutoyer... et poursuivre cela.


Se sachant déjà vainqueur de cette petite joute verbale, le beau brun la poussa encore un peu dans ses retranchements :

— Si tu veux que je continue, tu devrais me le demander... correctement.

Cette fois-ci, il lui lécha les lèvres pour étayer ses propos. Quand il retira sa langue, Héphasie émit un grognement de protestation et tenta de s'approcher de lui pour s'emparer de sa bouche. Cependant, il était plus grand et l'esquiva sans mal.

— S'il te plaît, Alex ! céda-t-elle enfin, exaspérée.

Certes, ce dernier avait voulu qu'elle le tutoyât et l'y avait poussée, mais il ne s'était pas attendu à ce que l'entendre le faire en réalité chamboulât ainsi son corps. Sa virilité était passée au garde-à-vous en un instant. Malheureusement, cette fois encore, il devrait prendre son mal en patience : la mère de la jeune femme pouvait revenir à n'importe quel instant. Il se contenterait donc d'un baiser...

Répondant à la supplique de sa belle, il se pencha pour qu'elle pût l'embrasser tout à son aise. Elle ne se fit pas prier : elle entoura aussitôt son cou de ses mains et fondit sur ses lèvres avec une ardeur désarmante. Le duc entrouvrit la bouche sous sa caresse et la peintresse en profita pour l'explorer. Son assurance l'attendrissait et l'excitait tout à la fois : cela signifiait qu'elle se sentait confiante en sa présence, et ce fait soulignait du même coup sa féminité. Qu'elle prît les devants de cette manière plaisait énormément à son partenaire, ce qu'il manifestait avec force grognements virils.

— Je l'ai ! s'exclama Madame Rouet en exhibant une liste. Pour ce qui est des invités...

Elle leva la tête à ce moment précis et comprit ce qui venait de se jouer, Héphasie n'ayant pas eu le temps et la présence d'esprit d'enlever ses mains du cou d'Alex. Ses joues rouges et son regard perdu achevèrent de la trahir. La mère de la jeune femme se pencha, ne sachant trop comment réagir. Elle semblait à la fois interloquée... et pas si étonnée que cela. « Elle pense qu'elle aurait dû s'en douter », comprit le duc. Il se mit à contempler ses pieds pour faire bonne figure. Il venait de mettre sa fiancée dans de beaux draps.

Violette s'éclaircit la gorge, puis poursuivit comme si de rien n'était :

— Pour les invités, donc, j'ai tâché de lister tous les membres de nos deux familles et nos amis proches. Bien sûr, j'ai ajouté les personnes que nous avons l'habitude de côtoyer dans des réceptions. J'ai également fait une colonne pour celles qui méritent réflexion. 

Elle leur tendit le bout de papier, mais le couple la fixait toujours. Elle allait donc se taire et faire comme si de rien n'était ? Elle avait pourtant paru choquée en les trouvant en pareille posture...

Voyant qu'ils demeuraient figés, elle s'emporta :

— Oh, ne faites donc pas ces mines outrées ! J'ai été jeune, moi aussi, je me doute bien que vous n'allez pas arriver au mariage tout blancs. L'entente physique est essentielle, il vaut donc mieux faire quelques... essais. Même si j'avoue que je ne pensais pas que vous les feriez ici.

Les deux amants se dévisagèrent, toujours aussi gênés et choqués. Puis ils partirent d'un grand éclat de rire. Cette fois-ci, ce fut la mère de la peintresse qui les regarda comme s'ils étaient fous à lier.

— Cette situation est tout bonnement absurde, remarqua-t-elle.

Puis elle s'abandonna à son tour, joignant sa voix à la leur. 

Une vierge au bordelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant