Chapitre 19

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Alex passa la nuit à réfléchir à ce qu'il convenait de faire pour parvenir à ses fins. La soirée avait été un véritable fiasco et il se devait à tout prix de rectifier le tir s'il voulait emporter le cœur et la main de sa belle. Au moins était-il à présent certain qu'il ne lui était pas indifférent. C'était la première fois de sa vie – et sans doute la dernière – qu'il aimait une femme. Si sa passion n'avait point été payée de retour, il ignorait complètement qu'elle aurait été sa réaction. Mais la partie était loin d'être gagnée pour autant.

La guenon enragée qui tenait lieu d'amie à Héphasie l'avait passablement effrayé. Même lui n'était pas aussi précis avec un pistolet, et cela faisait pourtant partie de l'éducation d'un garçon... Cette fameuse Diane l'impressionnait, en un sens, bien qu'il se passerait volontiers de la rencontrer à nouveau ! Il plaignait l'homme qui deviendrait un jour son mari, d'autant plus qu'il devinait qu'elle avait soif d'indépendance.

Malheureusement, le duc craignait qu'il lui fût difficile d'obtenir un tête-à-tête avec l'artiste après les récents événements. Il allait donc devoir se préparer à la perspective d'une nouvelle rencontre avec cette furie en jupons, ainsi qu'avec ces deux autres jeunes femmes, Hortense et Iris.

Et si... et si elles l'aidaient ? songea-t-il soudain. Elles avaient à cœur les intérêts de la peintresse, et s'il parvenait à les convaincre de ses bonnes intentions, elles seraient des alliés incroyablement puissantes. Elles pourraient fléchir son ange blond bien plus aisément que lui. Mais comment les rencontrer, et où ?

Sans doute participaient-elles régulièrement à des mondanités. Courir ces dernières semblaient le moyen le plus sûr de les croiser, même s'il devrait sans doute s'y reprendre à deux fois. À moins qu'une invitation fût si importante qu'elles ne pussent en aucun cas la décliner.

Alex alla dans son bureau où il conservait sa correspondance. Il retrouva les dernières lettres reçues sur le meuble qui trônait au centre de la pièce et qui lui donnait son nom. Il déchiffra l'écriture des premières enveloppes du tas et en isola certaines.

Il était décidément prêt à bien des sacrifices pour cette femme... Le jeune homme détestait ce genre d'événements et ne s'y rendait de gaieté de cœur que lorsque sa mère les organisait. De plus, sans cela, il entendrait parler pendant des années de l'ingratitude des enfants. Il soupira, se préparant à subir un assommant thé dès le lendemain.

Pendant deux jours, le duc d'Albufera parut en société, ce qui affola les matrones à la recherche d'un gendre pour leur fille. On ne le voyait jamais, et ces soudaines apparitions ne pouvaient vouloir dire qu'une chose : il était enfin décidé à convoler en justes noces !

Elles avaient raison, mais ignoraient que leurs précieux rejetons n'avaient pas l'ombre d'une chance. Son épouse était déjà toute trouvée, même si elle ne daignait pas se montrer. Il s'éclipsa donc rapidement de ces réceptions, même si la bienséance l'obligea à faire quelques efforts avant de disparaître.

Le jour suivant, il redoubla de malchance : Héphasie demeura introuvable et il rencontra la dernière personne qu'il souhaitait voir. Il s'agissait de son amie aux tendances meurtrières à son égard, la fameuse Diane. Par le plus grand des terribles hasards, leur hôtesse les plaça à la même table, sans doute désireuse de le voir passer l'arme à gauche.

Le visage fermé de sa voisine disait clairement son dégoût et son refus d'entamer avec lui la moindre conversation, fut-elle aussi futile qu'innocente. Alex prit cependant son courage à deux mains et força la discussion pour le triomphe de son amour. Son sacrifice le rendrait célèbre, il en était convaincu.

— Mademoiselle Iria, c'est un plaisir pour moi de vous revoir aujourd'hui.

Même s'il aurait préféré croiser Mesdemoiselles Delacroix et Beaumont, cela restait la pure vérité. Elle était l'unique lueur d'espoir qu'il entrapercevait depuis ce fameux bal organisé par sa mère.

— Tout le plaisir est pour moi, votre grâce, répondit-elle si sèchement que son mensonge éhonté fit sursauter le monsieur à sa gauche, qui se détourna dès qu'elle le fusilla du regard.

— Que diriez-vous d'une promenade dans les jardins de la comtesse ? On vante partout ses mérites, si je ne m'abuse.

Le brun craignait qu'elle répondît non. C'était son seul moyen de lui parler seul à seule, et si elle refusait, il n'aurait d'autre solution que de l'interroger à cette table, ce qui répandrait la rumeur aussi vite qu'une traînée de poudre, ce qu'il souhaitait éviter.

Diane accepta cependant, lui simplifiant la tâche, même si ce fut de mauvaise grâce. Ils ne s'éloignèrent guère, prenant racine devant de charmantes roses, pour ne point nuire à la réputation sans doute déjà désastreuse de cette demoiselle. La distance qu'ils instaurèrent entre eux et les autres invités leur suffit toutefois à s'entretenir sans attirer l'attention des commères les plus enragées.

— Merci de m'accorder un peu de votre temps, Mademoiselle. Vous vous en doutez, mais je souhaitais vous parler de votre amie, Héphasie Rouet.

— Cela tombe bien, car moi aussi. Cessez votre petit jeu, elle ne peut plus sortir par crainte de vous croiser.

Alexandre demeura suffoqué par son attitude ô combien désagréable. Il savait que la tâche ne serait pas aisée, mais il ne s'attendait certainement pas à ce qu'elle l'attaquât aussi directement.

— S'il vous plaît, écoutez-moi. Vous êtes son amie, je sais que vous voulez le meilleur pour elle. Et c'est aussi mon cas. Je l'aime tendrement, comme je n'ai jamais aimé aucune femme, avoua-t-il, en désespoir de cause. Si vous ne voulez pas plaider en ma faveur, dites-moi au moins où je puis la trouver. Laissez-lui la possibilité de choisir par elle-même la voie de son cru. Héphasie est libre comme le vent et devrait le rester. Le mariage est certes une obligation, mais ne point le considérer du tout à cause de sa condition de femme, n'est-ce pas au contraire s'y soumettre et admettre sa défaite ?

La brune le dévisagea un instant, la mine indéchiffrable. Puis elle laissa tomber sa sentence :

— Finalement, vous me plaisez bien. Vous êtes moins misogyne que vos congénères, a priori en tout cas.

Elle réfléchit un instant encore, songeant sans doute à la manière la plus efficace de l'aider.

— Venez donc chez moi demain, à seize heures, au dix-sept rue des Camélias. Je vous prie de bien vouloir vous montrer discret à ce sujet auprès de vos connaissances. Si on apprend que je vous arrange un rendez-vous, c'en sera fini de sa digne réputation. Je vous chaperonnerai, mais je ne suis pas certaine que cela vaille quoi que ce soit venant d'une personne si ouvertement féministe aux yeux de la bonne société parisienne.

Elle l'abandonna sur ces mots, certes visiblement prête à l'aider, mais sans doute pas à sympathiser. Alex comprit que la mention du libre-arbitre de son amie avait été décisive et qu'il n'obtiendrait rien de plus d'elle. Il se retint toutefois de sauter de joie, comblé par ce revirement inattendu. Il allait lui falloir préparer ses arguments pour convaincre sa belle.

Une vierge au bordelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant