Chapitre 23

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Alex n'en pouvait plus. Il n'était jamais autant sorti de sa vie, même quand sa mère l'y poussait ! Certes, la cause qui l'animait valait bien ces quelques sacrifices. Mais enfin, comment pouvait-on apprécier à ce point les événements mondains ? Cela traînait toujours en longueur, sans compter que la conversation de ses pairs le barbait terriblement. Et bien sûr, c'était sans compter toutes ces dames qui lui couraient après : il n'aurait su dire, qui des jeunes filles désireuses de montrer leur esprit et leurs talents, des mères cherchant désespérément un duc pour marier leur enfant et des femmes voulant dénicher un amant, étaient les pires. En tout cas, une chose était sûr : il n'en sortait jamais indemne.

La pensée d'Héphasie apaisa son tourment : ils se rapprochaient, c'était indéniable. Elle lui offrait plus volontiers ces tendres sourires qui lui remuaient le cœur et ne semblait plus aussi méfiante à son égard. Il faut dire qu'il n'avait plus rien tenté depuis belle lurette, malgré le désir toujours féroce de la posséder. Cette expérience lui avait toutefois appris une précieuse leçon : il pourrait se passer de la toucher, à partir du moment où il lui parlait et la contemplait assez souvent pour ne pas devenir fou. Car les délices suscitées par leurs relations charnelles n'étaient que le prolongement d'une merveilleuse entente d'esprit, l'acmé de la fusion de leurs deux âmes.

Le jeune homme songeait vaguement à demander la main de sa belle dans les prochains jours. Ils pourraient ainsi se voir bien plus régulièrement, et il s'assurerait par là même la chance de vieillir à ses côtés. Mais accepterait-elle ? Il n'avait pas entamé sa cour depuis suffisamment longtemps pour en attester. Il devinait qu'elle attendait davantage. Après tout, un tel engagement requérait mûre réflexion, d'autant plus qu'ils avaient connu des débuts uniques... et un brin compliqués, il le reconnaissait volontiers.

Alex tâcha d'oublier cette idée momentanément. Pour lors, il devait se rendre chez les Eugène où avait lieu le bal masqué. Il y retrouverait sa promise et se contenterait de passer une agréable soirée à ses côtés. Cela lui suffisait. Bien sûr, il ne manquerait pas de la taquiner. La voir rougir ou s'énerver de manière si peu convaincante l'enchantait.

Le duc, après avoir présenté ses hommages à ses hôtes, chercha le visage qu'il chérissait dans la foule. Il avait un peu de retard, à cause de la circulation dense : visiblement, cette petite fête attirait foule ! Il pensait donc pouvoir affirmer sans se tromper que son petit ange blond était déjà présent.

— Ça alors ! Si ce n'est pas ce bon vieil Alex, s'exclama chaleureusement une voix d'homme.

Il reçut une vigoureuse tape dans le dos, qui manqua le propulser dans le giron d'une matrone. Il se retourna, d'ores et déjà mal disposé à l'égard de l'inconnu qui freinait ses retrouvailles avec sa belle. Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant un ami de longue date !

— Alistair ! Si je m'attendais...

Celui-ci rit.

— J'ai cru que tu allais me rouer de coups.

Comme à son habitude, il semblait un peu débraillé et très ouvert à la plaisanterie. Son costume de pirate accentuait cet effet : il avait boutonné lundi avec mardi pour se donner un air canaille, que son sabre et son cache-œil complétaient à merveille. Ses cheveux blonds bouclés, un peu trop longs selon la mode, partaient en tous sens. Le sourire en coin et la lueur malicieuse qui dansait dans ses yeux étaient des caractéristiques qui permettaient de le reconnaître sans peine.

— Effectivement, avoua le duc d'Albufera, je me suis demandé quel énergumène venait me chercher des noises.

— Moi ! Je ne suis que douceur et égards. Tu me vexes à mort.

— À d'autres ! Tu ne connais même pas le sens du mot tristesse, tu es toujours aussi guilleret. Tu n'as pas changé d'un poil.

Alistair lui offrit un sourire éclatant, puis dit d'un ton de conspirateur :

— Toi, en revanche...

— Que veux-tu dire par là ?

Un groupe de quatre jeunes femmes attira le regard d'Alex. Il repéra bien sûr aisément Diane, déguisée, comme de droit, en la déesse chasseresse. Il comprit que c'était sans doute surtout l'excuse parfaite pour garder son arc et son carquois avec elle, même lors d'un bal. À son côté, une meringue géante semblait geindre à grand renfort de gestes catastrophés. Sa robe blanche imitait la pâtisserie par de savants mouvements et des jeux de profondeur. La pauvre portait un masque qui mimait la texture et la couleur d'un biscuit. Elle agitait avec virulence une canne à l'apparence d'un sucre d'orge.

— Héphasie ? s'étonna-t-il à haute voix.

Il reporta son attention sur ses compagnes pour s'en assurer. Il reconnut Hortense, simplement habillée d'une robe rose pâle somptueuse et d'un loup de la même teinte. Tout comme lui, elle ne s'était pas prêtée au jeu du déguisement. À sa droite se trouvait Iris, dont la chevelure flamboyante ressortait à merveille sur son costume de paon. Sa robe se composait de plumes aux couleurs chatoyantes et d'une petite traîne faisant office de queue. Son costume était de loin le plus réussi qu'il avait vu jusqu'à présent.

Son attention revint vers la meringue : ce ne pouvait être que l'amie de ces jeunes filles, son cher ange blond. Il ne put retenir un petit rire et se prépara à le rejoindre pour le complimenter... non sans faire preuve d'une légère touche de malice.

— Oh là ! Tout doux, le rappela à l'ordre Alistair, qu'il avait complètement oublié. On dirait que tu es devenu un homme complètement différent. Je ne pensais pas te voir un jour regarder ainsi qui que ce soit. Tu es tout mielleux.

Il fit mine de frissonner de dégoût en entourant ses épaules de ses bras tandis que son interlocuteur lui offrait une expression contrite, un peu gêné.

— Je ne comprends pas du tout de quoi tu veux parler, mentit-il éhontément, en désespoir de cause.

Comme à son habitude, son ami se contenta de rire, puis, ayant repéré quelqu'un, s'arrêta subitement, les yeux brillants. Le duc chercha leur point de mire et comprit qu'il contemplait ainsi l'une des femmes du groupe qui avait retenu son attention plus tôt. Était-ce Iris ? Il observa de nouveau Alistair pour confirmer ses soupçons, mais celui-ci se trahit de lui-même :

— Qui est cette beauté ? Ce déguisement de paon est tout bonnement incroyable ! C'est une idée de génie. Et j'ai un faible pour les rousses. Par contre, cette fille habillée en meringue est le comble du mauvais goût.

Visiblement, il n'avait pas saisi que c'était justement cette personne qui avait suscité son regard énamouré.

— Je te présente celle que je veux prendre pour épouse, annonça-t-il pompeusement en contenant son hilarité.

Son compagnon poussa un étrange cri, entre l'étranglement et le gloussement.

— Je prendrai cela pour une excuse, ajouta Alex, toujours d'un air impassible dans l'espoir pervers de rendre mal à l'aise le pirate.

Ce dernier esquiva :

— Tu connais son amie ? Tu veux bien nous présenter ?

Il prit un air de chien battu qui convainquait immanquablement tous ceux qui l'apercevaient.

— Viens donc, âne bâté. Mais jure-moi de ne pas manger ma meringue.

Le principal concerné leva la main en l'air et s'exécuta, puis le précéda.

Une vierge au bordelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant