L'avenir était radieux, en vérité, et le matin plus éblouissant que jamais ! Héphasie fut tirée du sommeil par la caresse du soleil et des cris d'orfraie à vous faire dresser les oreilles sur la tête. Elle se tourna et constata qu'Alexandre était bien réveillé, lui aussi, et quelque peu paniqué. Elle le rassura d'un sourire : après tout, leur plan fonctionnait à merveille ! Cette servante, en alertant ainsi toute la maisonnée, avait fait malgré elle sa part du travail.
Elle put savourer quelques instants le plaisir simple de partager le lit avec l'élu de son cœur après une folle nuit d'amour. Elle s'était servie du duc comme d'un vulgaire oreiller, ce qui la fit rire et lui valut un regard d'incompréhension de son acolyte. Oui, elle était euphorique, un peu comme ce jour où Diane leur avait fait goûter des alcools forts pour faire leur « éducation ». Hortense était tombée raide au bout d'un verre, son petit corps foudroyé par ce liquide inhabituel, et sa gorge délicate ayant peu apprécié cette expérience. La lanceuse de couteaux était restée de marbre, bien qu'elle eût rit à leurs dépends le lendemain : Iris et Héphasie lui avaient offert un spectacle hors du commun, ce qu'elle continuait de leur rappeler à l'occasion des années plus tard.
L'artiste caressa la joue d'Alexandre avec tendresse, pas du tout inquiétée par les bruits de pas et les murmures fort peu discrets qui convergeaient vers sa chambre. L'heure de vérité était venue. Elle espérait que sa mère entendrait enfin raison. Et si tel n'était pas le cas, au moins ne regretterait-elle rien.
La porte s'ouvrit à la volée, laissant place à une Violette folle de rage. Le duc, qui avait eu le bon sens d'enfiler son pantalon avant de se coucher après leurs ébats de la veille pour ne pas être surpris dans son plus simple appareil, se leva pour accueillir la tempête. Bien campé sur ses deux jambes, il semblait déterminé, tel un marin sur le pont d'un bateau en proie à la fureur des éléments.
Le temps n'était pas aux explications. En voyant la scène, la mère d'Héphasie hurla toute sa colère et se précipita dans la chambre. Elle bondit sur Alexandre et lui assena un uppercut sous le menton digne des meilleurs pugilistes. Son coup eut pour résultat de projeter le pauvre homme contre le mur. Il s'évanouit sous les yeux ébahis de la peintresse. Armand ne tarda pas à le rejoindre au sol : cette scène était surréaliste et il était tout le contraire de sa femme. Il était doté d'une grande sensibilité, très attachante mais qui le pénalisait parfois dans la vie de tous les jours. Entre la découverte du duc d'Albufera dans le lit de sa fille et les actions de Violette, il était dépassé.
Les domestiques épiaient cet événement de manière fort peu discrète en poussant des petits cris. Quant à l'artiste, elle se précipita dès qu'elle eut repris ses esprits auprès de son bien-aimé. Elle le secoua sans ménagement pour qu'il revînt à lui.
— Oh, pour l'amour du ciel, quelle bande de femmelettes ! s'écria Violette en se tapant le front de la main. Victoire, allez donc nous chercher deux seaux d'eau glacée, je vous prie.
— Des sels ne conviendraient-ils pas mieux, madame ? s'enquit celle-ci en haussant les sourcils quand elle comprit les intentions de sa maîtresse.
— Pourquoi utiliser des sels quand on dispose d'eau à profusion ? riposta-t-elle. Sont-ce là de délicates demoiselles en détresse ? Allez, vite ! Nous n'allons pas y passer la journée, tout de même !
La soubrette s'exécuta, la mine penaude. Une autre la suivit pour l'assister dans sa tâche. Ce n'était pas le moment de contrarier la redoutable mère d'Héphasie. Elles firent vite, et heureusement : Violette s'était mis en tête de réveiller son mari en lui assenant de petites gifles. Cette femme ne connaissait pas la méthode douce.
— Merci, Victoire, Camille. Posez-les là, ordonna-t-elle en désignant une portion de sol proche d'elle pour pouvoir disposer des seaux à son aise.
Elle versa le contenu de l'un des deux sur le visage d'Armand, qui se dressa sur son séant comme un ressort en prenant une grande inspiration. Il tremblait convulsivement, à la fois à cause du froid et du choc. Victoire s'empressa d'aller chercher une couverture qu'elle enroula autour de ses épaules pour le réchauffer.
— Vous faites la sieste, mon cher ? le tança sa femme.
Elle se dirigea ensuite vers Alexandre pour lui infliger le même traitement sous le regard apitoyé de la peintresse. Elle soutint son bien-aimé quand il reprit connaissance et le rassura au mieux.
— Levez-vous, bande de fainéants ! Nous avons à discuter, et je préférerais que nous le fassions dans le salon. Je n'ai que trop vu cette chambre et ce lit pour aujourd'hui.
Violette sortit de la pièce d'une démarche altière tout en affichant un air de profond dédain. Héphasie haussa les épaules en faisant une petite moue.
— Au moins est-elle ouverte à la discussion. Je n'en attendais pas tant.
Alex haussa un sourcil.
— J'espère que vous vous souviendrez de ce que j'ai subi pour vous, mon amour.
Elle rit.
— Cette image de ma mère vous battant comme plâtre demeurera à jamais gravée dans ma mémoire, n'ayez crainte.
Armand, qui se relevait tout en les observant, ne put s'empêcher de joindre son hilarité à celle du couple.
— J'ai épousé un monstre assoiffé de sang, déplora-t-il théâtralement.
— Le monstre va vous botter les fesses si vous ne rappliquez pas immédiatement ! rugit Violette depuis le couloir.
— Oups, fit la peintresse, se retenant à grand-peine de se moquer de son père.
Ce dernier afficha une mine penaude, puis obéit à son tyran.
— Voyez ce qui vous attend, mon cher, releva Héphasie à l'intention du duc.
— Voyez comme je tremble, rétorqua-t-il, pince-sans-rire.
Ils suivirent les parents de la jeune femme dans le salon pour entamer la discussion qui déciderait de leur avenir...
VOUS LISEZ
Une vierge au bordel
Ficción históricaHéphasie n'aime rien tant que dessiner. Déterminée à progresser, elle se rend régulièrement au bordel pour exercer son art, certaines prostituées acceptant d'y poser nues. Cependant, son mépris des convenances pourrait lui porter préjudice, d'autant...