Chapitre 11

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Alex allait la rendre folle, s'il continuait ainsi. Elle s'était empêchée de le supplier de continuer ses scandaleuses caresses. Sa retenue l'émouvait aussi : il ne faisait jamais rien qu'elle ne voulût, malgré son excitation apparente... Sentir son sexe contre son dos lui avait donné l'envie de se frotter à lui, comme la dernière fois, mais pas pour son propre plaisir. Elle craignait toutefois de passer pour une folle furieuse, et s'abstenait donc à présent de telles audaces.

Le beau brun s'étant écarté d'elle, elle parvint à reprendre ses esprits et se réfugia derrière son chevalet. Son partenaire avait déposé ce dernier devant le seul fauteuil de la pièce pour qu'elle fût plus à son aise pour peindre. Elle plaça son matériel idéalement pour détourner son esprit de ses idées sensuelles, et enjoignit Alex à rejoindre le lit pour commencer la séance.

Sa mine contrite prouvait sa bonne volonté et amusait quelque peu Héphasie. Il avait perdu sa démarche élégante : il se dirigeait d'un pas lourd vers le centre de la pièce, comme si son entrejambe pesait autant qu'une pierre et le déséquilibrait. En un sens, cela ne l'étonnait guère : il était énorme. Elle ne pensait pas l'appareil génital masculin si gros. Les statues classiques l'avaient habituée à de plus petits gabarits.

Alex s'allongea finalement sur le côté, son coude soutenant le poids de son corps et sa main sa tête. Sa jambe postée en hauteur retombait négligemment par-dessus la seconde. Dans cette pose, il exposait sans vergogne sa virilité à sa vue, l'air parfaitement à son aise, malgré ses précédentes affirmations. Quant à elle, elle n'en menait pas large : s'il lui permettait de conserver sa chemise, la situation n'en était pas moins gênante. Par bonheur, sa toile lui offrait un maigre repaire, la dissimulant en partie au regard affamé du brun.

Héphasie se morigéna : jamais elle ne trouverait d'occasion pareille de dessiner un homme nu. Elle en profiterait donc, coûte que coûte. Elle se concentra pour que ses mains ne tremblassent pas. Elle se figura qu'il ne s'agissait que d'une de ces prostituées qu'elle peignait toujours, en bas, dans ce salon du bordel. La situation n'était somme toute pas si anormale... du moins s'en persuada-t-elle.


La jolie blonde, critique, lorgna son tableau. Elle rectifierait quelques traits tremblotants dus à son état d'excitation avancé une fois chez elle. Si l'on omettait ces erreurs dignes d'une débutante, son œuvre lui plaisait. Elle différait des autres, pas seulement par son sujet, mais également par la manière dont elle l'avait mis en valeur. La pose d'Alex, ainsi que son environnement – et plus particulièrement le lit – s'avéraient mille fois plus intimes, et elle avait tenu à rendre le jeune homme tel qu'il était, le connaissant mieux que tous ses modèles réunis. Sa toile acquérait ainsi une valeur personnelle, puisqu'elle la savait fidèle, contrairement à certaines qu'elle s'amusait à perfectionner pour atteindre une beauté supérieure. Elle se rendait cependant à présent compte que c'était une erreur, car les imperfections ou bizarreries d'un physique participaient de son unicité, et donc de son charme.

Elle risquait d'admirer souvent ce nu, le soir, dans sa chambre... parce qu'il offrait un contraste avec le reste de sa production, bien sûr. Et non pas parce que l'homme représenté dessus lui faisait de l'effet. Elle devrait cependant trouver une excellente cachette si elle ne voulait pas s'attirer des ennuis.

— Vous avez fini ? demanda le beau brun en constatant son immobilité et son air songeur.

— Oui.

Il se leva, puis s'étira pour délasser ses membres engourdis. Il se glissa ensuite dans son dos pour regarder son tableau. Se penchant plus près, il lui glissa à l'oreille :

— Vous êtes vraiment très douée. C'est magnifique.

Héphasie se sentit rougir, guère habituée à recevoir de tels compliments. Elle gardait souvent son talent pour elle, et si ses amies se montraient dithyrambiques, elles ne lui paraissaient guère impartiales pour la juger avec franchise.

— Vous devriez exposer votre travail. Il aurait du succès.

La jeune femme tombait des nues.

— Vous ne jugez donc pas qu'il ne s'agit que d'un simple passe-temps ?

Elle se retourna et le vit hausser un sourcil, chose qui l'impressionna. Seule Diane, à sa connaissance, y parvenait avec autant de maîtrise.

— Absolument pas ! Est-ce là ce que les gens pensent ?

— Je le crains. Une femme de la bonne société ne peut guère espérer faire de son talent son travail.

— Une femme de la bonne société, vous dites ? s'exclama Alex. Je vous prenais pour une prostituée.

Il frappa son front de sa main.

— Je comprends mieux... Je suis navrée. Mon attitude est impardonnable.

Il inclina la tête à la manière des gentlemen.

— Vous n'avez rien à vous reprocher. C'est moi qui suis désolée, renchérit Héphasie. J'ai compris votre méprise à notre première rencontre, mais je n'ai pas songé à vous éclaircir. Et... je ne regrette absolument pas tout cela.

Le visage du jeune homme semblait toujours avoir été gravé dans le marbre, mais à l'heure actuelle, la dureté de son expression amplifiait cette impression. La peintresse se leva dans l'espoir de le fléchir, au désespoir.

— Alex, s'il vous plaît... Mon statut de femme me relègue au rang de marchandise bonne à pourvoir. Je ne suis heureuse que quand je me sens libre de cet état. Quand je viens ici.

Elle lui raconta la manière dont elle avait suivi son frère et ses amis, quand ils discutaient de ce lieu, se pensant seuls. Sa curiosité avait pris le pas, d'autant plus qu'elle s'ennuyait ferme. Cette révélation sembla choquer son interlocuteur, et elle enchaîna donc :

— Certaines prostituées acceptent de poser nues, c'est une bonne manière pour moi de progresser, d'autant plus que cela me permet d'oublier la place que j'occupe dans la société. Et vous... vous m'avez vue pour qui je suis, avoua-t-elle, les larmes aux yeux. Une femme désirable, une femme talentueuse, dotée de son libre-arbitre.

Elle l'approcha timidement et se contenta de le regarder pour qu'il lût dans son âme ses sentiments les plus profonds.

Après un instant qui parut interminable à Héphasie, le jeune homme la saisit brusquement par le col de sa chemise.

— Ça, pour être désirable, vous l'êtes, grogna-t-il. Vous avez terminé de dessiner, donc si je vous enlève ce sous-vêtement de malheur, vous ne serez pas déconcentrée, n'est-ce pas ?

Une vierge au bordelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant