Chapitre 28

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Héphasie nageait sur un petit nuage, tous ses doutes envolés. Elle avait surpris une faille en Alex et elle se sentait plus proche de lui, à présent, surtout que sa détresse venait de la croyance qu'il lui était indifférent. En ces conditions, comment ne pas croire au profond attachement du jeune homme pour elle ?

Ils étaient fiancés. Se le dire lui faisait un drôle d'effet, car elle ne pensait pas vraiment que cela lui arriverait un jour. Elle s'était résolue à ne pas se marier, malgré les attentes de ses parents, et auparavant, elle aurait tout fait pour annuler cet engagement. Mais l'amour s'en était mêlé et avait balayé toutes ses certitudes sur son passage.

La peintresse aperçut son trio d'amies qui discutait avec animation, probablement inquiet pour elle. Ses parents les accompagnaient, certainement pour partager leurs questionnements. Elle reconnut également la mère de son promis et s'en réjouit : même si elle ne la connaissait guère, lui annoncer la nouvelle lui paraissait naturel.

Elle parvint à ce groupe inhabituel sans se faire accoster et s'en félicita.

— Bonsoir, Madame Lion, salua-t-elle la seule personne qu'elle n'avait pas encore croisée durant la soirée. Passez-vous un bon moment ?

Tous les regards convergèrent aussitôt vers Héphasie, qui sourit de toutes ses dents en réponse. Sa joie l'empêchait de ressentir la moindre gêne, même si elle avait conscience que la scène qu'elle avait offerte plus tôt devait susciter bien des réactions. Revenir comme si de rien n'était paraissait assez audacieux, d'autant plus que la mère d'Alex pensait sans doute qu'elle avait refusé la main de celui-ci. Son interlocutrice se montra toutefois d'une grande courtoisie, ce qui la fit encore monter dans son estime :

— Bonsoir, Mademoiselle Rouet. Je trouve ce bal très réussi. Les musiciens sont prodigieux, et les danseurs s'en donnent à cœur joie ! Et vous-même, comment vous portez-vous ?

Elle ajouta ces derniers mots sur le banal ton de la conversation, mais la jeune femme devina qu'elle attendait quelques éclaircissements : étant donné l'esclandre auquel elle avait assisté plus tôt, elle ne pouvait que penser que la soirée se passait mal pour elle. L'artiste la détrompa cependant :

— Je vais on ne peut mieux, je vous remercie. J'ai d'ailleurs une grande nouvelle à vous annoncer.

Iris, qui, pour ne pas se montrer impolie, avait su se tenir coite jusque-là, ne put se retenir de la presser :

— Eh bien, qu'y a-t-il ? Et où est donc passé le duc ?

— Un instant, mon enfant, la tança gentiment Violette, qui dévisageait avec intensité Héphasie pour tâcher de lire en elle. Laissez-lui le temps de respirer.

Diane, moins diplomate, lui écrasa le pied, d'une manière qui aurait pu s'avérer discrète si sa cible n'avait pas lâché un couinement indigné. Hortense, imperméable à toutes ces singeries, se contenta de sourire à son amie pour l'encourager.

— Le duc d'Albufera et moi sommes fiancés, lâcha la peintresse à brûle-pourpoint. J'ai accepté sa demande en mariage.

Iris sautilla sur place. Cette fois-ci, Diane ne la retint pas, mais lui lança un regard d'avertissement. La nouvelle semblait avoir adouci momentanément son cœur. Quant à la plus maladroite de leur groupe de quatre, elle sourit de plus belle, les yeux brillant d'une émotion contenue.

— Je suis si heureuse pour vous ! s'exclama-t-elle.

Armand, inquiet pour sa fille, lui demanda :

— Êtes-vous bien certaine que c'est ce que vous désirez, ma tendre enfant ?

Violette glissa la main dans celle de son mari. La manière dont ils se soutenaient lui avait servi d'exemple, et elle espérait bien vivre une expérience similaire avec Alex.

— Je ne pourrais être on ne peut plus sûre, les rassura-t-elle.

Son fiancé choisit cet instant idoine pour les rejoindre. Il se glissa entre elle et sa mère. Le regard plein de tendresse et de certitude qu'il lui présenta la fit fondre. Madame Lion, qui avait évidemment surpris leur échange muet, décida enfin de prendre la parole :

— Je crois qu'il est évident que vous vous appréciez tous deux beaucoup. J'en suis très heureuse, et ton père le serait également. Félicitations à vous.

Elle versa une larme au souvenir de feu le duc d'Albufera. Tout aussi ému, le partenaire d'Héphasie la remercia simplement, ne sachant comment exprimer de manière plus éloquente son attachement à sa mère.

— Je crois que nous allons avoir du pain sur la planche ! s'enthousiasma Violette. Nous avons à présent le mariage de l'année à préparer. Ma fille, vous aurez une robe inoubliable, je vous en fais le serment.

— Je n'en doute pas une seule seconde, marmonna la principale concernée en baissant les yeux vers sa tenue de meringue.

Iris gloussa convulsivement. Cette fois-ci, Diane la pinça sans vergogne.

— Aïe ! rugit la première en se débattant dans le vide.

Hortense, que ce mouvement inattendu désarçonna, effectué si près d'elle, perdit l'équilibre et agita les bras tel un oiseau pour le retrouver. Malgré ses efforts louables, elle tomba sur son séant. Comme à son habitude, plutôt que de pleurer de son malheur, elle s'esclaffa, à la manière de l'ensemble des personnes ayant assisté à la scène. Cet intermède vint clore cette discussion sérieuse et tout le monde retrouva bientôt ses préoccupations liées à la soirée. Le duc d'Albufera invita sa belle à danser une nouvelle fois et les parents de celle-ci les rejoignirent bientôt sur la piste, leur bonheur révélant encore plus que de coutume leur profond attachement. Quant à Madame Lion, elle s'amusa follement avec les jeunes amies turbulentes d'Héphasie.

Assurément, ce bal resterait gravé dans les mémoires comme l'un des plus agréables jamais organisés, et deux personnes en particulier se rappelleraient jusqu'aux détails les plus anodins... et surtout d'un moment volé, dont elles seules avaient connaissance. 

Une vierge au bordelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant