Chapitre 34

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Alexandre ne décolérait pas. Cela faisait déjà deux jours que le majordome des Rouet lui claquait la porte au nez dès qu'il l'apercevait. Comment osait-il ? Dans ces circonstances, le duc était impuissant et ne pouvait qu'espérer que sa belle allait bien... Il échafaudait mille hypothèses, mais puisqu'on refusait de le recevoir, il ne pouvait en valider aucune. Et si quelqu'un avait eu vent de leurs rencontres au bordel ? Ce n'était pas impossible, et pourrait expliquer qu'on lui refusât l'entrée avec tant de hargne.

Le duc finit par se résigner : pour le moment, il était impuissant. Son ignorance de la situation ne lui permettait pas de jauger celle-ci efficacement. Il rentra chez lui, la mort dans l'âme, et se coucha pour tâcher de reprendre des forces. Ces dernières nuits avaient été terribles, et même s'il doutait de parvenir à fermer l'œil, il tenait à peine debout.

Contre toute attente, il dormit d'un sommeil de plomb. Il fut réveillé un peu avant que l'aube parût par ce qu'il identifia au bout de la troisième fois comme des cailloux qu'on jetait contre la fenêtre. Il se précipita, plein d'espoir : il pensa d'emblée à Héphasie. Un peu déçu, il découvrit en ouvrant une silhouette féminine, mais qui n'était pas celle de son aimée.

— Oh non, pas vous ! s'exclama-t-il théâtralement. Il ne manquait plus que ça...

Diane lui offrit en guise de réponse un rictus méprisant.

— Si vous n'êtes pas content, je peux repartir. Cela éviterait à mon amie de faire une grosse erreur !

Il soupira.

— Ne soyez pas si guindée, j'essayais de détendre l'atmosphère. Je suis heureux de vous voir. J'imagine que vous m'apportez des nouvelles ?

La jeune femme se contenta d'acquiescer et de lui ordonner de sortir avec son autorité coutumière. Alex se vêtit le plus rapidement possible et descendit aussitôt, sans même chercher à lacer ses chaussures. Il le ferait en écoutant les révélations que lui apportait Diane.

— Alors ? l'interrogea-t-il aussitôt en la rejoignant dans le jardin.

— Sa mère a découvert vos entrevues au bordel. Elle refuse votre mariage.

Le duc se passa la main sur le front, harassé.

— Je m'en doutais. Tout finit toujours par se savoir.

Il eut un rire amer. Diane lui assena une grande claque dans le dos.

— Ne soyez donc pas si défaitiste, vous me décevez. Héphasie a un plan. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, mais cela vous regarde, je fais juste office d'intermédiaire.

Une lueur d'espoir éclaira le visage du brun.

— Dites-moi tout, j'en suis.

Quelques instants plus tard, un curieux rassemblement de quatre personnes d'allure noble se réunissait non loin de la demeure des Rouet.

— Vous êtes enfin là ! s'exclama Iris en apercevant Alex et Diane. J'ai cru que vous n'arriveriez jamais.

Elle sautillait sur place, excitée par cette aventure.

— Sa grâce a le sommeil lourd, se moqua sa complice.

L'incriminé leva les bras en l'air et leur offrit son expression la plus innocente.

— Comment procédons-nous ? Mademoiselle Iria m'a juste dit que vous pouviez m'aider à voir Héphasie. J'ai eu beau essayé de lui tirer les vers du nez, elle s'est montrée intraitable.

Hortense consulta ses amies du regard, puis répondit en ces termes sibyllins :

— Vous allez entrer par effraction.

— Je m'en doutais un peu, étant donné les bonnes dispositions de Madame Rouet à mon égard et cette heure plus que propice aux visites de courtoisie.

Son ton pince-sans-rire lui valut une pichenette sur le front de la part de Diane. Il poussa un cri de douleur fort peu ducal qui tira une moue satisfaite à sa tortionnaire. Sadique, elle lui révéla elle-même leur plan :

— Vous allez rejoindre Héphasie en grimpant. Il y a du lierre sur le mur, ce ne devrait pas être trop compliqué.

Hortense fit la grimace en entendant ces derniers mots. Elle était bien contente que ce ne fût pas à elle de passer à l'action ! Alexandre était du même avis et le fit savoir fort délicatement :

— Sombre folle ! Vous voulez ma mort !

— Votre courage est proportionnel à votre carrure, apparemment, l'attaqua encore Diane pour éveiller son orgueil. Iris pourrait le faire les yeux fermés.

— Je ne suis pas un singe, maugréa-t-il, les dents serrées.

Malgré sa rebuffade, le duc savait que c'était la solution la plus facile à mettre en œuvre et il tâcha donc d'inspirer et d'expirer lentement pour se calmer. Il se convainquit qu'il pouvait le faire : certes, il n'était pas un grimpeur émérite comme l'amie d'Héphasie, mais il avait fait les quatre cents coups dans son enfance. Il avait escaladé plus d'un arbre. Il espérait juste que ses réflexes lui reviendraient.

— Ne vous inquiétez pas, je vous accompagnerai pour vous aider, le rassura Iris en voyant sa mine déconfite. Je vous indiquerai les meilleures prises et je vous retiendrai si besoin.

Heureusement pour lui, le plan consistait à ce qu'on le découvrît dans le lit de la peintresse, songea-t-elle. Il n'aurait pas à subir une désescalade, bien plus dangereuse. Mais cela, il ne le savait pas encore, et c'était sans doute pour le mieux. Peut-être refuserait-il s'il se doutait des intentions de sa belle... Iris ne comptait pas prendre la responsabilité d'un tel aveu !

— Allez-y, et surtout, dépêchez-vous. Nous t'attendrons ici pour rentrer ensemble Iris, ce sera plus sûr, annonça la lanceuse de couteaux d'un œil torve, déjà prête à en découdre avec d'éventuels gêneurs.

— Bonne chance, murmura Hortense avec douceur, un brin inquiète.

— À tout de suite ! s'exclama gaiement Iris, point du tout inquiétée par la dangerosité de la situation.

Alexandre, quant à lui, se signa.

— Adieu, ce fut un plaisir de vous connaître.

Il se détourna tandis que les trois jeunes femmes riaient.

— Quelle mauviette ! le tança Diane.

En guise de réponse, il agita la main tout en continuant de marcher. Iris, qui l'accompagnait, vit un léger sourire incurver ses lèvres. Il avait fallu affronter bien des épreuves pour que ces deux-là s'entendissent, mais le jeu en valait la chandelle. Héphasie serait heureuse de constater qu'ils avaient dépassé leurs différends, si cette histoire se terminait bien. 

Une vierge au bordelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant