Chapitre 3 : Jack

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13 juin 2015.

La grille couine au moment où je ferme l'atelier. La journée a été putain de longue et la nuit a encore accueilli l'une de mes insomnies. J'ai bossé comme un malade sur les rénovations de bateaux, mes carnets de rendez-vous sont pleins et je ne peux pas me lamenter à ce sujet, mais je manque cruellement de temps pour développer mon projet et çà me frustre. Quand en plus l'inspiration me fait défaut, comme souvent en ce moment, je finis par déchirer mes plans, exaspéré.

Alors, je suis allé vider quelques bières au Scar* sous le regard inquisiteur de Trévor. Seul, les yeux perdus sur la surface du zinc, je rêvasse à tout et n'importe quoi, je me vide la tête de tout ce qui me satellise l'esprit et l'alcool m'aide dans ce processus. Quand j'ai cet état d'esprit, je sais que le sommeil ne voudra pas de moi, j'ai l'habitude maintenant.

Au bout de ma quatrième chope, je sens deux mains prendre appui sur mes épaules et un poids plume se hisse dans mon dos, en totale opposition à la voix affirmée qui l'accompagne.

- Eh mec ! Tu fais la gueule ?

Moi qui pensais être un peu tranquille. En même temps qu'est-ce que j'imaginais ? Aller au Scar, le rade dans lequel toute la bande d'amis se retrouve presque chaque jour est pure illusion. Et c'est peut-être aussi pour çà que j'y viens...il y aura toujours en ces lieux une oreille compatissante, quelqu'un pour me rattraper si je déraille. Et Siri en est la principale lumière. C'est ma meilleure amie, ma plus vieille amie, la seule à vrai dire depuis mon arrivée à San Francisco.

Elle connaît -presque- tout de ma vie et de mes travers. Elle a traversé mes galères et j'ai assisté aux siennes. On passe beaucoup de temps à se taquiner et elle est toujours après ma peau mais je donnerais ma vie pour elle, elle le sait. Je ne suis pas un grand sentimental, je ne me livre pas et elle est, à mes yeux, la seule qui compte avec Dan. Les autres de la bande ne sont que des pièces rapportées, des potes.

- Qu'est-ce qui te fait dire çà fouineuse ?

- Oh je vois que je ne suis pas tombée loin, tu es d'une humeur massacrante !

- J'ai eu une journée de merde et je sens que je ne vais pas dormir ce soir si tu veux tout savoir.

- Alors tu viens te bourrer la gueule devant Trévor, bonne idée.

- Il est où le problème ?

Ok, je sais exactement où elle veut en venir. Mes vieux démons. Mais je ne retomberai pas là dedans, l'alcool c'est différent, je peux me passer de boire pendant des jours si je veux. Là j'ai juste besoin de relâcher la pression.

Elle fait signe à l'un des barmen, un nouveau que je n'avais jamais vu et lui commande deux verres de scotch.

- Nulle part, laisse tomber.

Elle laisse glisser l'un des verres jusqu'à moi et me lance un clin d'oeil. Je l'attrape au passage et me l'enfile cul sec, savourant la brûlure de mon oesophage. Je commence à sentir mes neurones s'échauffer et mes muscles se détendre.

- Merci.

- Alors qu'est-ce qui te vaut cette tête Dawson ?

- Je crois que j'ai décidé d'arrêter d'essayer.

- De quoi tu parles ?

- Les bateaux, je suis qualifié pour les réparer et bidouiller mais la conception c'est pas pour moi et là çà me les brise. Faut que j'arrête de me faire des films je ne suis pas qualifié pour çà !

- Ok, je vois que t'as fait des progrès dans la confiance !

- Des mois que je travaille sur une maquette et je viens de tout déchirer, autant se rendre à l'évidence.

A l'encre de ton coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant