A l'encre de ton coeur

Chapitre 26 : Rose

Mardi 7 Juillet

Les membres engourdis, je sens le sommeil me rejeter. Je ne sais pas quelle heure il est, mais les bruits extérieurs m'indiquent qu'il ne doit pas être tôt. J'étends langoureusement les bras et j'inspire à pleins poumons, me délectant d'une délicieuse odeur qui chatouille mes narines. Rassurante, sensuelle, masculine. L'odeur dans laquelle je me suis perdue toute la soirée de la veille alors que je serrais ses muscles emprisonnés sous mes paumes.

Je papillonne des paupières, encore un peu perdue entre les limbes de mon sommeil, le présent et la réalité. Je me suis endormie le nez enfoui dans le cuir de Jack.

J'ai un mouvement de recul, sonnée par cette découverte, mais parfaitement conscience de la bataille qui se joue entre mon subconscient et ma raison.

Il a vu juste : je suis jalouse.

Pour la première fois, je m'avoue que les émotions qui m'animent ne relèvent de rien d'autre que cela. Jusqu'alors, j'avais mis mes contrariétés vis-à-vis de Lexie sur le compte de sa profonde antipathie envers moi. Mais hier soir, avec Suzana, j'ai senti la moindre fibre de mon corps prête à lui sauter à la gorge si elle se mettait en travers de mon chemin. Je me sens perturbée.

Perturbée et ridicule.

À notre retour hier soir, j'étais encore en colère. Un peu contre lui, mais surtout contre moi-même et ce qu'il me fait ressentir.

Comment ai-je pu en arriver là ? Comment mes sentiments pour lui ont-ils pu basculer ainsi ?

On se détestait, on se tolérait à peine. De coups de gueule en réconciliations, de provocations en aveux j'ai appris à regarder sous cette couche de noir qui recouvre sa peau. Sous cette carapace qu'il s'est forgée pour éloigner les autres. Et ce que j'ai découvert, par hasard ou en creusant un peu, a allumé une mèche là tout au fond de mon cœur. Cette petite étincelle qui vivotait s'est transformée en torche en quelques jours et si je ne fais pas attention c'est un brasier qui va m'emporter.

Assise en tailleur sur le bord de mon lit, je sens les larmes qui menacent de ruisseler sur mes joues.

Je suis dans la merde.

En arrivant ici, je voulais me libérer de mes obligations familiales, oublier la trahison du seul homme qui ne m'avait pas abandonné. Je voulais enfin découvrir ce qui se cachait sous ma carcasse, déterminée à ne pas me laisser faire.

Je devais me soustraire à mon chagrin, pas m'en causer d'autres.

Parce que Jack a beau m'avoir touché avec son côté sombre et torturé, ses blessures, il n'en reste pas moins un homme joueur, dangereux pour mon petit cœur. Et interdit.

Il est le meilleur ami de mon frère. L'un et l'autre se sont soutenus, épaulés, relevés au moment où leur horizon aurait pu s'effondrer.

Je ne peux pas, je ne dois pas m'interposer entre eux.

Je me sens ridicule avec mes sensations de midinette. Jack est plus âgé, amoché par la vie et à ses yeux je ne suis qu'une gamine capricieuse, insupportable et fêlée. C'est un séducteur, il joue, il prend et il jette après consommation. Il ne partagera jamais le moindre sentiment pour moi. Ou alors pas dans le sens que j'imagine.

Je file sous la douche pour essayer de chasser toutes mes interrogations. Moi qui voulais faire table rase, passer à autre chose, me construire une autre réalité, plus simple, facile à vivre, j'avoue que je suis en train d'échouer royalement.

Et par-dessus tout, je réalise une chose et çà me foudroie sur place.

Je ne sais pas si j'ai réellement été amoureuse de Richard.