Je dégouline à côté du sac de frappe.
J'ai fini par y déverser toute ma colère avant de m'écrouler au sol, harassé. Si j'ai chassé la tension qui s'est distillée par les pores de ma peau pendant l'effort, mon mal-être, lui, est toujours là. Comme la bouteille de rhum.
Adossé au mur du fond de l'atelier, je regarde le carnage que j'ai moi-même semé. Si je n'ai pas touché aux bateaux que je répare, je ne peux pas en dire autant de ma table à dessin. Des crayons brisés, mes planches déchirées, voilà le triste tableau qui se dresse devant moi. Je ne suis qu'un abruti qui ne mérite même pas d'essayer. Qu'est-ce que j'ai cru ? Que j'arriverais à produire des prototypes de bateaux ? Que je les dessinerais avant de les concevoir ? Que je naviguerai dessus un jour ?
La blague.
Lucy se tient face à moi. Elle rigole et se moque avant de me parler sur un ton de reproche. C'est continuel. Lorsqu'elle m'apparaît, c'est toujours pour m'engueuler, me dire que je fais tout de travers, que je suis un bon à rien.
« Tu t'attendais à quoi en allant à la plage ? »
« Tu crois qu'elle va te regarder différemment ? »
« Ce type est peut-être un coureur, mais il est certainement plus équilibré que toi »
« T'es complètement taré ma parole... »
« Elle n'effacera pas tes erreurs, elle ne sera pas ta rédemption Jack... »
Elle a tristement raison. Je ne comprends pas ce qui m'a pris. J'ai vrillé à cause d'elle. La voir évoluer à côté de ce gros lourdaud de Darell m'a donné l'impression qu'on me confisquait mon jouet. C'est ridicule, mais c'est exactement comme çà que je l'ai ressenti. Une putain de pulsion d'homme de Cro-Magnon.
Mais la furie n'est pas un jouet et encore moins une option, c'est la sœur de Dan, elle est hors limites.
Peut-être qu'inconsciemment, j'ai trop cru qu'elle avait vu quelque chose en moi. Une possibilité. Je la revois s'émerveiller devant mes maquettes, s'intéresser aux bateaux, me sourire sans arrière-pensées, discuter et se confier à Mamina, être simplement à l'aise avec moi.
Et ses yeux qui cherchent à disséquer mes émotions...
Depuis quand ça ne m'est pas arrivé ?
Je sais qu'elle n'est pas toujours rassurée en ma présence, qu'elle se pose toujours mille questions sur mon attitude, mais c'est plus fort qu'elle, elle y va quand même.
Et ça me bouleverse. Que je le veuille ou non, je n'arrive pas à rester indifférent devant sa force de caractère alors qu'elle peut sembler si fragile à certains moments...
Faut que j'arrête çà et tout de suite. Putain, mais quel con !
Je ricane de dépit en m'envoyant deux ou trois rasades de rhum. La brûlure dans ma gorge n'apaise pourtant pas celle qui couve dans mon bide. Entre mes mains, le goulot glisse et je regarde, détaché, le niveau restant. Ce sera un miracle si je ne fais pas un coma vu la quantité que j'ai ingurgitée en peu de temps.
Après tout serait-ce si mal ? Je retrouverais maman, Lucy et grand-père. On serait bien tous les quatre.
Mais le visage de Mamina m'apparaît. Mes paupières sont lourdes et je soupire de frustration en repoussant en arrière mes cheveux dans un geste nerveux.
Le temps semble distendu. Je ferme les yeux. Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé, mais quand je les rouvre l'humidité a recouvert mon visage. Mes paupières me semblent si engourdies... de sommeil et de souffrance.
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A l'encre de ton coeur
RomanceRose, 21 ans, termine sa troisième année universitaire sur l'île de Skye en Ecosse. Trahie par son petit-ami, en colère contre les obligations familiales, elle est déterminée à ne plus se laisser dicter sa vie. Elle se réfugie chez son frère aîné Da...