Chapitre 23 : Jack

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Je me comporte comme un connard depuis des jours, empoisonné par ma colère, fatigué de la frustration qui se fraye encore cette année, un chemin jusqu'à mon cœur. Mais étonnamment, une fois que je suis ici, le dos appuyé sur le marbre de la pierre tombale, je souris.

Une unique rose blanche pour immortaliser la pureté éternelle de sa jeunesse.

Ma petite sœur ne se fanera jamais.

Je tiens dans mes mains la maquette de bateau, ses voiles immenses viendront caresser la pierre les jours de grand vent. Je l'ai fabriquée moi-même, pour que Lucy ne se sente jamais seule. Étrange ironie puisque j'ai ce sentiment de l'avoir abandonnée.

Posés sur le marbre devant moi, deux verres de shot remplis de vodka afin de célébrer avec elle nos vingt-quatre bougies qu'elle ne soufflera jamais.

Six ans déjà.

Tu me manques Lucy.

Ce soir, pas de fantôme désinvolte, juste le souvenir de celle qui ensoleillait mes journées au milieu du néant.

Je lève un verre de shot et me l'enfile cul sec après l'avoir dressé au-dessus de ma tête en mémoire de ma frangine.

— Aux vingt-quatre ans que tu n'auras jamais petite sœur !

Je souris en m'imaginant la tête qu'elle ferait si elle m'observait parler aussi cyniquement. Mais elle ne me voit pas. Il n'y a rien après la mort. Du vide, du néant et la douleur de ceux qui restent.

Elle me manque tant, et, en ce moment plus que d'habitude.

— Je me doute que tu n'es pas fière de moi petite sœur. Mais tu sais j'ai du mal. Il y a trop de vide autour de moi et tu sais comme j'ai le vertige...

Je souris encore, caressant la pierre froide sous mes doigts, me laissant bercer par le murmure du vent dans les arbres. L'orage de la journée a laissé place à un temps moins agité, mais frais pour la saison. Un temps égal à mon humeur même si je sens que les tensions qui m'habitent s'apaisent au fil des heures. Être ici, c'est chaque année accepter que le brouillon de l'année passée n'empêchera pas l'avenir de s'écrire en lettres capitales. Je me le suis promis pour elle. Vivre deux fois plus, user de la force qu'elle n'a pas eu le temps d'utiliser pour vivre deux vies en une. Tout tenter pour réaliser ses rêves à travers les miens.

— Un jour, je t'emmènerais avec sur cet océan qui te fascinait... tu caresseras la peau des vagues comme tu disais. On nagera dans des criques au bout du monde et l'on se laissera cuire au soleil en sirotant des cocktails... comme de gros bourges...

J'avale le deuxième shot.

— Je te promets je ne vais pas abandonner les dessins. Je le concevrais ce bateau capable d'effleurer l'eau.

J'allume une clope et prends une profonde taffe.

— Faut que je te dise que j'ai fait la connaissance d'une chieuse à ta hauteur ! Je l'appelle la furie, mais son vrai prénom c'est Rose, je suis sûr que tu l'adorerais ! Elle a un sacré tempérament ! La première fois qu'on s'est rencontrés, elle a cru que j'étais un voleur qui pénétrait chez son frère ! A sa décharge, elle a eu une éducation de bourge coincée si tu vois ce que je veux dire... elle aussi est tombée sur un gros connard,  ça vous fait encore un point commun. Et faut que je me la coltine, car Dan est absent toute la semaine. Tu imagines ? Je joue à la nounou !

Je passe ma main dans mes cheveux. Une nounou bien particulière ces derniers jours. Je soupire au souvenir de ses lèvres galbées et douces sur les miennes.

— Elle a un visage de poupée. Tu sais de celles que tu lorgnais dans la vitrine des grands magasins à Noël... une chevelure de feu et des yeux d'un vert aussi translucide qu'un lagon. Elle est vraiment très belle, sauvage, naturelle et... sexy. Putain je te raconte n'importe quoi... on dirait un adolescent prépubère...

A l'encre de ton coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant