A l'encre de ton coeur

Chapitre 16 : Jack

 À quel moment a-t-elle quitté le Scar ?

Je n'ai rien remarqué. Et pour cause : Lexie était disposée à me faire chier. J'étais censé passer un bon moment avec elle, boire un verre, manger un morceau avant de finir à l'horizontale, pour m'oublier dans ses bras. Mais finalement, alors que j'apprécie habituellement de décompresser de cette manière, ce soir, mon cœur n'y est pas et — accessoirement — ma queue non plus. Lexie le ressent et me fais chier avec ses réflexions de nana jalouse.

C'est plus fort que moi, je ne suis pas rassuré de savoir que la furie est rentrée toute seule. J'ai l'impression qu'il va se passer un sale truc, un foutu pressentiment ou de la culpabilité transposée. Le quartier est plutôt calme, le Scar n'est qu'à quelques rues, mais les mauvaises rencontres sont vite arrivées.

Si elle n'attirait pas tous les regards aussi !

Elle est tellement, maladroite, sexy, naturelle sans même avoir conscience de l'effet qu'elle produit autour d'elle. Je vois bien les têtes des mecs qui croisent son chemin et j'imagine très bien l'effet sur leur froc.

Déjà au bar, il ne lui a pas fallu longtemps pour que toutes les têtes masculines se tournent vers elle. Son propre collègue, le beau gosse métis, pur cliché du capitaine d'équipe de foot universitaire, a tenté sa chance.

Et ça, ça ne rend pas ma tâche facile.

Parce qu'elle est trop fragile, trop innocente et trop belle pour que je laisse les loups entrer dans la bergerie.

Il est presque une heure du matin quand je pousse la porte du loft. J'imagine qu'elle doit être partie se coucher, épuisée par le travail.

Mais au moment où le battant claque derrière moi, je remarque que tout est allumé et qu'une odeur lancinante d'alcool flotte dans la pièce.

Une sensation désagréable gonfle dans mon ventre et une autre remonte mon épine dorsale. Je lâche les clefs sur le plan de travail, scanne la pièce des yeux, découvrant des éclats de verre qui jonchent le sol. Une tâche humide sur le mur du fond attire mon regard tandis qu'un cadavre d'une des meilleures bouteilles de Scotch de Dan gît au sol, explosé. Le verre crisse sous mes converses. Des bouteilles d'alcool posées sur la console, il ne reste que la carafe en cristal dont le contenu est renversé. Je fais volte-face et tourne à 360 degrés sur moi-même, pensant au pire.

D'affreux scénarii affluent dans ma tête : un cambrioleur qu'elle aurait surpris, un prédateur sexuel qui l'aurait suivi, une bande mal intentionnée...

J'essaie de garder mon calme quelques secondes, fermant les yeux un instant pour réfléchir, l'index et le pouce calés sur l'arrête du nez. Je soupire et quand j'ouvre les yeux, je sens les sueurs froides dégouliner le long de mon dos.

C'est là que je les remarque, les traces de sang qui imprègnent le sol et mènent au fond du couloir. Comment ne les ai-je pas remarquées en arrivant ?

— Rose !!!!! Rose !!!! Rose !!!

Ce n'est pas possible, je revis un nouveau cauchemar. Paniqué, je sens la nausée m'envahir, mais je chasse la sensation de toutes mes forces. La panique n'aidera pas. Respirant un bon coup, je concentre mon attention sur le plus important : la trouver.

Je passe la porte de sa chambre, suivant des yeux les gouttes de sang frais qui conduisent jusqu'à la salle de bain. Des taches rouges maculent les interrupteurs comme dans le plus commun des films d'épouvante et je prie mentalement l'univers de ne pas m'imposer encore son courroux.

C'est alors que je les entends, les petits bruits étouffés qui me conduisent jusqu'à elle.

Contenant mon angoisse, je la trouve prostrée contre le mur, entre les toilettes et le lavabo, une épaisse serviette éponge ensanglantée autour des mains. Recroquevillée sur elle-même, elle sanglote, tremblante. Ses jambes nues tachées et je ne vois pas son visage, enfoui sous ses avant-bras et coincé entre ses genoux.